Vendu comme un film sportif romantique en mode « ménage à trois », Challengers est finalement bien plus que cela sous la caméra d’un Luca Guadagnino (Call Me By Your Name, Bones and All) capable d’offrir un regard solaire et acéré sur une histoire où Zendaya devient à la fois objet de convoitise et maîtresse toxique d’un séduisant jeu de pouvoir.
Depuis 2017 et l’excellent Call Me By Your Name, Luca Guadagnino enchaîne les jolis succès. Si on enlève son remake vain de Suspiria (mais néanmoins intéressant), le réalisateur italien a su troquer l’approche solaire qui caractérisait son cinéma pour un regard plus âpre d’une jeunesse en quête identitaire (la très belle We Are Who We Are ou bien le ténébreux Bones & All).
Luca Guadagnino montre son tennis
Challengers opère un certain tournant pour Guadagnino, se présentant initialement comme un drama amoureux sur fond de tennis destiné à être un gros véhicule star pour Zendaya (Euphoria, Dune), affublée de ses co-stars Mike Faist (West Side Story) et Josh O’Connor (La Chimère). Pourtant, il faudra pas longtemps pour comprendre que le réalisateur s’incarne en vrai mercenaire pour offrir une lecture autre à cette histoire d’amour/amitié s’étalant sur 13 ans.

En effet, Challengers débute en 2019, lors du final d’un US Open de tennis. On découvre ainsi Patrick Zweig (Josh O’Connor), face à son rival Art Anderson (Mike Faist), ce dernier étant observé par sa femme Tashi Duncan (Zendaya). Très vite, on comprend qu’un sulfureux passif anime ce trio, alors que le film nous ramène 13 ans plus tôt, à une époque où Anderson et Zweig sont les meilleurs amis du monde, en pleine qualification d’un tournoi de juniors.
Leur destin va changer lorsqu’ils vont faire la rencontre un soir de Tashi, jeune championne à l’avenir prometteur. Un avenir qui va prendre un grand coup d’arrêt suite à une blessure, obligeant cette dernière à devenir coach. Un jeu d’attraction-répulsion va ainsi se créer, dans une rivalité qui trouvera son point d’orgue lors de ce fameux US Open.
Jeu de pouvoir sur le court
Lorsqu’on s’intéresse initialement à Challengers, on se dit qu’on a affaire à un film de sports tout ce qu’il y a de plus classique (des débuts modestes jusqu’à la cour des grands), ou bien d’un triangle amoureux aux renversements de situation ponctuant la compétition. Il y a évidemment un peu de cela dans le résultat final, mais sous le regard de Guadagnino, le film arrive à subvertir sa nature dramaturgique en se concentrant sur le caractère charnel et libidineux accompagnant les motivations de ses personnages.

Oui, Challengers est sexy, tel un match à trois où tous les participants en rut se renvoient la balle (qu’elle soit littérale, verbale ou émotionnelle). Alors qu’une séquence de séduction où le niveau d’hormones est supérieur à celui de l’alcool rapproche le duo Anderson-Zweig à Tashi, Guadagnino semble résumer tout l’enjeu du récit dans un début de plan à trois aussi torride qu’interrompu.
En effet, alors que les deux amis seront en compétition pour le cœur de Tashi, cette dernière se révèlera comme instigatrice d’un jeu de pouvoir inter-dépendant sur ses deux soupirants. Et si le script ne met aucun doute sur la nature toxique de ces échanges, Challengers déploie une vraie mise en scène pour pleinement faire ressentir cette recherche de jouissance permanente.
Trouple qui se touche la raquette
Et à ce titre, convoquer le tennis dans ce jeu de séduction-répulsion relève non-seulement d’une vraie concordance entre un sujet mis sur le papier et une fabrication retranscrivant sa substantifique moelle..mais avant tout d’une évidence pure. Qu’est-ce que le tennis, sinon deux personnes s’affrontant/s’échangeant des projectiles en poussant des cris dans un élan de sueur et de fureur, sous le regard d’un public inquisiteur.

Une dimension sexuelle que Guadagnino n’omet jamais, poussant le vice encore plus loin entre Anderson et Zweig lors de regards passifs-aggressifs à coups de churro/banane croqué(e) intempestivement, ou de joute verbale en plein sauna. La partie de tennis ne se joue donc pas que sur le terrain, jusque dans une caméra mobile capable de panoter en pleine dispute, semblant déclamer que les rapports humains ne sont que match et rapport de force.
Une aura charnelle et parfois même viscéralement rendue par la réalisation kinétique de Guadagnino (jusque dans un climax nous abreuvant des plus belles séquences de tennis vues dans un film), mais aussi dans l’incroyable travail sonore du film. La BO électro-house de Trent Reznor & Atticus Ross (The Social Network, Millenium, Watchmen) donne ainsi à Challengers une énergie assez remarquable, mettant une fois de plus en exergue les rapports électrisants de personnages constamment dans le désir, sans jamais jouir de leurs accomplissements ou de leur relation. De l’esprit de compétition constante en somme.
Set de match sans arbitrage
Mais il y a un « mais » dans Challengers. En effet, si ce renvoi de balles est parfaitement incarné, le film doit aussi faire avec un script ne sachant plus vraiment comment amener correctement sa conclusion relativement attendue. Comme s’il manquait une certaine étape pour que les personnages devenus matures regardent dans le rétroviseur avec la même candeur initiale, mais où le dernier revers scénaristique se fait avec bien trop de couture pour pleinement convaincre.

Néanmoins, loin d’être raté, le final de Challengers bénéficie encore une fois d’une fabrication exemplaire (la photographie solaire et texturée de Sayombhu Mukdeeprom est un petit régal même dans les plans subjectifs), mais aussi de toute la construction préalable dopée par un excellent montage. Alternant constamment des retours dans le passé pour gonfler le gravitas de ce qui se déroule lors du match, Challengers peut bien entendu tabler sur son excellent trio de comédiens.
Fiast et O’Connor incarnent ce duo de « Feu et de Glace » avec une complémentarité telle qu’on pardonnera peut-être facilement à Challengers d’instaurer de manière hâtive sa rivalité amoureuse. Mais c’est encore une fois Zendaya qui brille et surprend en mastermind toxique (peut-être un peu trop littéralement dans le dernier segment) dans un rôle de femme aussi sexy qu’antipathique. Quelques heurts, qui ne viennent pas faire capoter ce séduisant jeu de trouple sucré-salé sous tension.
Challengers sortira au cinéma le 24 avril 2024
avis
Avec Challengers, Luca Guadagnino filme le milieu du tennis comme une boîte de pétri bourrée aux hormones, où séduction et répulsion se répondent dans une recherche constante de compétitivité. En résulte un film à la fois solaire et sexy, mais également amer sur les rapports humains de ce trouple impeccablement incarné par son trio de comédiens. Si le script n'évite pas quelques dernières balles faciles, la fabrication kinétique du film allié à la formidable BO électrisante du duo Reznor-Ross offre à Challengers une texture dont on ne se lasse pas. Une bonne pioche donc !