Celle qui revient là est un hommage vibrant aux mots de la poétesse russe au destin tragique, Marina Tsvetaïeva.
Dans Celle qui revient là, Céline Pitault nous offre un moment suspendu, entre ombre et lumière, force et douceur. Une femme dans un long manteau noir entre sur scène dans la pénombre. Ses mots sont ceux de la plus grande poétesse russe du XXe siècle, Marina Tsvetaeva.
Son monologue sonne comme un murmure, une plainte, un abandon. D’un bout à l’autre, nous sommes conquis par ce moment de pure beauté, et en ressortons le cœur rempli de poésie.
« La vie est une gare. Je vais bientôt partir, je ne dirai pas où. »
Écrire pour survivre
Dès les premiers instants, on sent qu’il se joue quelque chose d’à la fois tragique et de lumineux dans le propos comme dans la présence de la comédienne que l’on sent puissamment habitée. C’est la poétesse née en 1872 à Moscou qui se tient devant nous, troublée, troublante. Elle raconte l’enfant, puis la femme, mais aussi l’artiste ou encore la mère, toutes confrontées à une longue errance intérieure animée par un refus inébranlable de se conformer.
Elle nous parle des relations tendues avec sa mère, d’une solitude rencontrée dès l’enfance ; de cette époque, « siècle des masses organisées », dans laquelle elle ne se retrouve pas ; de ce « monde nouveau », de cet « homme nouveau, moitié robot moitié mouton moitié singe ». Elle nous parle de l’amour qui l’anime, de sa manière vibrante, profonde, entière d’aimer les êtres aussi bien que les livres et les instants de beauté. Elle dévoile une sensibilité infinie, une manière d’être au monde sans fard et sans concession. Et cette nécessité brûlante d’écrire pour rester en vie…
« En moi, tout est incendiaire ».
Une interprétation éblouissante
Ce texte est un bijou de pureté et de délicatesse. Céline Pitault cisèle les mots sans jamais en écorcher aucun. On est littéralement hypnotisé, tant par la poésie de ces mots auxquels nous restons suspendus, presque en apnée, que par l’incarnation de la jeune femme dont l’émotion encore tellement palpable après les applaudissements vient nous toucher en plein cœur. Quelle admirable prestation !
Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que la comédienne nous éblouit par la délicatesse et la poésie de son jeu ; par sa manière de donner vie aux mots comme aux silences. La dernière fois, c’était en 2013, dans une pièce dont il ne nous reste que le souvenir de sa performance. Parce qu’il est difficile de se souvenir précisément de toutes tant nous en voyons, mais une manière de jouer comme celle-là en revanche ne peut que se figer dans la mémoire. Et Céline Pitault prouve une fois de plus ici son talent pour se mettre au service de la beauté d’un texte et lui offrir un écrin.
« Je suis un esprit solitaire pour qui l’air est irrespirable. »
Une poésie intemporelle
Nous découvrons Marina Tsvetaeva, cette Révolution russe de 1917 qu’elle fuira avec ses enfants, son exil qui les mènera jusqu’à Paris et à la pauvreté – cette condition qui isole. Elle confie sa manière de ressentir le monde plutôt que de le penser ; cette insuffisance idéologique qui lui a été reprochée toute sa vie, elle qui n’appartenait à aucune classe, à aucun parti, mais seulement à l’existence pure ; elle pour qui vivre et créer prenaient leur source dans un même élan.
« Ce n’est pas moi qu’on mettra en
terre, non, ce n’est pas moi / Et ma cendre sera plus chaude que leur vie. »
Ce texte merveilleusement poétique trouve une résonance troublante avec notre époque et son incapacité quasi chronique à ressentir pleinement les choses, enchaînée dans toutes sortes d’automatismes régissant aussi bien les actes que la pensée. Comme un appel à se reconnecter à la poésie, à l’âme des choses, à notre humanité qui s’effrite. Et l’on s’enivre de ces vers qui cherchent un espace en nous où se nicher, où s’ancrer. Celle qui revient là, on aimerait tant qu’elle reste…
Un commentaire
Un moment suspendu, une bulle ou l’on ressort forcément touché, cette intime confession d’une personne, d’une société, d’une artiste, d’une femme et d’une mère…