En projet depuis plusieurs années, Blonde d’Andrew Dominik (L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) débarque enfin sur Netflix. Présenté initialement à la Mostra de Venise et précédé d’une aura sulfureuse, ce faux-biopic de Marilyn Monroe porté par Ana de Armas lorgne bien plus du côté du film d’horreur psychologique que du récit autobiographique. Une vraie claque !
Andrew Dominik a plus de 20 ans de carrière, et pourtant il n’en est qu’à son 4e long-métrage avec Blonde. Preuve d’un cinéaste exigeant aux projets non-moins singuliers, dont le dernier film en date (Cogan : Killing Them Softly) date déjà d’une dizaine d’années. Le néo-zélandais a surtout fait ses armes avec le biopic (Chopper) et le western révisionniste (L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford).
Dans ces deux projets, Dominik abordait deux figures ayant réellement existé (l’une contemporaine, l’autre non) en détournant les codes de leur genre respectif. Ce n’est donc pas un hasard s’il s’attaque à l’adaptation du roman Blonde de Joyce Carol Oates, publié en 2001 (et ayant déjà fait l’objet d’une transposition en mini-série). Romancière contemporaine de Marilyn Monroe, cette dernière accouche d’une biographie fictive, retranscrivant la vie intérieure, poétique et spirituelle de Norma Jeane Baker, bataillant derrière les projecteurs avec son fameux alter-ego hollywoodien.

Tombé amoureux du bouquin, Andrew Dominik tente pendant plus de 10 ans d’en faire une adaptation filmique ambitieuse (avec initialement Naomi Watts puis Jessica Chastain), dont la simple profession de foi suffira à engendrer le rejet envers certains spectateurs. Car Blonde n’a finalement pas tant à voir avec le genre du biopic qu’avec le pur film d’horreur et le drame psychologique, avec pour simple (et fascinant) postulat de base une dissection totale de l’icône du XXe siècle surnommée la « Dumb Blonde ».
Who’s your Daddy now ?
S’ouvrant sur les images iconiques de Marilyn Monroe sur le tournage de Sept ans de réflexion (la robe se soulevant sur la grille d’aération), le récit s’enclenche après le titre du film, nous invitant à découvrir l’enfance traumatique de Norma Jeane Baker. Présentée au portrait supposé de son père biologique (au physique de Cary Grant), la jeune Norma verra son enfance chamboulée par la perte de sa mère psychotique (internée en asile psychiatrique et plongée plus profondément dans la folie au fil des années), ayant tentée de la tuer, puis par la recherche perpétuelle de la figure paternelle (matérialisée par les uniques séquences en couleur, au gré de ses rencontres avec les hommes de sa vie)
Ainsi, le film prend à bras le corps la figure de petite fille virginale (appelant ses amants « daddy ») érigée en pin-up Hollywoodienne. Considérée comme un sex-symbol et un objet de désir par les hommes, Marilyn Monroe aura bien régulièrement été condamnée à son image de blonde un peu nunuche, zieutée avant tout pour sa plastique que pour ses talents. Dès lors, Blonde opère un regard complètement désenchanté (voire même misérabiliste) sur toute une industrie et une époque qui aura transformé Norma Jeane.

Ainsi, de ses débuts d’actrice en 1952 après le mannequinat, jusqu’à sa mort en 1962, le film enchaîne les tranches de vie avec de grandes éllipses, tel un puzzle mental nous invitant dans l’envers (ou plutôt l’enfer) du décor. Violée par des producteurs viles, battue par son mari Joe DiMaggio, désespérée à l’idée d’avoir un enfant, sombrant petit à petit dans le désespoir, l’alcool et les barbituriques… le récit emprunte des segments connus de sa vie tout en en extrapolant certains, voir en plongeant les pieds joints dans les allégations d’époque où Marilyn et John F. Kennedy avaient une liaison (dans une scène qui ne manquera pas de faire polémique il est certain).
Chef-d’œuvre de mise en scène
Sorte de plongée psychologique et romancée, Blonde se mue peu à peu en chaînon manquant de Mulholland Drive ou même Répulsion, alors que le métrage va de plus en plus en loin dans le cauchemar. Là est tout le propos et la formidable intention du film d’Andrew Dominik, qui n’est pas tant une peinture de Marilyn Monroe mais une histoire de fantôme et de trauma, ayant complètement dissocié l’identité d’une jeune femme à la recherche de repères et de réelle reconnaissance.
l faut environ quelques secondes à Blonde pour immédiatement montrer que oui, Andrew Dominik a bien passer 10 ans à développer son film : chaque plan est d’une beauté sidérante malgré la noirceur de plus en plus prégnante. La somptueuse photographie de Chayse Irving nous abreuve de plans dans un noir et blanc immaculé, alors que la réalisation sensorielle de Dominik bascule ensuite dans l’ésotérisme via une mise en scène de plus en plus sophistiquée.

Changements de ratio, de colorimétrie, ou bien des reconstitutions tout à fait saisissantes de d’époque et de tournage (la plus dingue reste celle de Les hommes préférent les blondes), la caméra propose quelques idées folles, comme des séquences de fœtus parlant que n’aurait pas renié David Lynch (dont un plan-subjectif intra-utérin), ou encore une séquence sulfureuse de triolisme filmée comme une expérience transcendantale. La plus parlante (et pourtant celle qui illustre le plus simplement le film) est celle où Norma Jeane, en pleurs devant son miroir, se change telle une possédée en Marilyn Monroe, tout sourire éclatant sorti !
Norma de Armas
Parmi toute cette constellation de talent, dont Bobby Cannavale, Adrien Brody, Julianne Nicholson…il y a bien sûr l’étoile la plus brillante : Ana de Armas (Knives Out, Mourir peut attendre). Sensationnelle à chaque scène, l’actrice y livre ici sa toute meilleure performance, dans un vrai mimétisme de Marilyn Monroe lors des fameuses séquences cultes de l’icône, tout en s’appropriant totalement Norma Jeane pour en faire un personnage de cinéma bouleversant.
Que ce soit lors d’une séquence de casting à la portée émotionnelle, une déchirante chute à la plage ou bien les errements désespérés proche d’une certaine schizophrénie, on tient aisément une des performances de l’année. Conjuguée au talent d’Andrew Dominik, il ne suffira que de quelques notes de piano et d’un magnifique score évanescent de Nick Cave & Warren Ellis pour toucher la grâce.

L’on pourrait disséquer plus en profondeur Blonde, ou même questionner le fait que le récit élude bon nombre de morceaux-clés de la vie de Monroe (les moments proactifs et de de joie sont présents, avec pas mal de parcimonie ceci dit), mais Andrew Dominik accouche d’un récit et d’une proposition comme nuls autres. L’histoire d’une femme de talent, de passion, de générosité. Et son double médiatique, façonné par le tragique, les paillettes et la misogynie. Une claque de cinéma, une vraie !
Blonde sera disponible sur Netflix le 28 septembre 2022
avis
Blonde est un film rare et précieux. Andrew Dominik revisite le mythe de Marylin Monroe por livrer un pur psychodrame d'horreur, où la fiction augmente la réalité, et où le réel nourri la rêverie autant que le cauchemar. Porté par une fabrication des plus sophistiquées autant que par une immense performance d'Ana de Armas, Blonde ne va clairement pas finir d'alimenter les débats passionnés. La marque d'un grand film tout simplement !