Jawad Rhalib réalise avec Amal, un esprit libre un long-métrage de fiction qui ne passera pas inaperçu. En abordant un sujet au cœur des débats actuels, il offre une œuvre engagée de grande qualité.
Jawad Rhalib est un réalisateur social qui dénonce à travers ses documentaires et œuvres de fiction des problématiques qui frappent nos sociétés contemporaines. Dans son documentaire Au temps où les arabes dansaient (2018), il abordait le parcours d’artistes arabo-musulmans en proie à une haine intégriste, dans ce siècle du fascisme islamique. Un film censuré par certaines chaînes de télévision de peur de heurter “la sensibilité des spectateurs musulmans”, selon les dires du réalisateur.
Jawad Rhalib refuse, lui, de plier face à cette menace, celle suscitée par le regard des autres et qui gangrène nos sociétés. Par peur des représailles on se tait ; par peur, on continue de causer les mêmes ravages, politiques, sociaux, économiques ou religieux ; par peur, on laisse faire ce que l’on ne cautionne pas. Mais Amal n’a pas peur. À l’image de son créateur, la professeure de littérature refuse de se soumettre, elle livre un combat acharné pour faire valoir la tolérance, pour que ses élèves puissent développer leur esprit critique et leur sens du vivre ensemble. Amal est interprétée avec révolte, passion et entrain par Lubna Azabal – Nawal Marwan dans Incendies de Denis Villeneuve. Jawad lutte, Amal lutte, et tous deux nous emportent leur ardent combat.
Memento Mori
Amal, un esprit libre débute avec une séquence qui donne tout de suite le ton du film : brutal, direct, sensible. Le réalisateur ne fait pas de détour car le temps manque, il faut se souvenir que l’on est en train de mourir. Memento Mori, une vanité inscrite à l’encre noire sur le corps de Monia (Kenza Benboutcha), une collégienne persécutée et violentée par ses camarades de classe à cause de son orientation sexuelle. Monia aime les femmes et cette réalité se heurte à l’intégrisme religieux d’autres élèves qui perçoivent l’homosexualité comme une perversion, un mal démoniaque qu’il faut exorciser.
Pour affronter cette haine collective, Amal passe par le langage et le pouvoir de la littérature. Dans de nombreuses séquences en classe, Jawad Rhalib la filme en train de parler à ses élèves. Les gros plans en caméra portée se posent sur les visages et passent alternativement de son regard à celui des collégiens. L’incompréhension, la colère, l’animosité, le désarroi se lisent tour à tour sur le visage des acteurs. Si certains de leurs silences en disent long, ces adolescents démunis face à l’intensité de leurs émotions en sont parfois réduits à les hurler lors de virulentes altercations. Dès lors, quand ce nécessaire apaisement semble impossible, comment le leur apporter, et à quel prix ?
“J’ai quitté les filles pour les garçons
Abû Nuwâs, poète arabo-musulman homosexuel du XVIIIe siècle
Et pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire”
Une voix donnée au corps enseignant
“En Belgique, les cours de religions sont obligatoires et intégrés au cursus scolaire dans chaque école, les élèves choisissent la religion qu’ils souhaitent approfondir. Aucun membre du corps enseignant n’a le droit de voir ce qu’il se passe dans la classe.”
Jawad Rhalib part de cette réalité sociale pour étayer le propos de son film. En prenant pour décor un collège, il donne à voir de l’intérieur une institution publique et laïque se heurtant à l’islamisme radical. En jonglant continuellement entre le collège et la vie privée, deux espaces finalement indissociables, il questionne les limites du métier d’enseignant : où celui-ci s’arrête-t-il ? Un professeur doit instruire les enfants dans un cadre pédagogique, mais comment réagir quand des débats sociétaux passent les portes du collège ? Être professeur, ce n’est plus seulement enseigner, il faut faire face à une pression sociale constante.
En donnant une voix au corps enseignant, Jawad Rhalib s’engage dans un combat que certains affrontent tous les jours. En s’exprimant sur l’islamisme radical, Jawad Rhalib s’empare d’un sujet brûlant sans jamais porter atteinte à l’islam. Il le fait en connaissance de cause, avec justesse et réalisme. Amal, un esprit libre créera sûrement des clivages à sa sortie, entraînant des réactions qui peuvent être extrêmes, mais il est certain qu’il fera réfléchir sur “un sujet tabou et susceptible d’être mal interprété” qui, malgré tout, “nous concerne tous, musulmans ou pas”.
Amal, un esprit libre est à découvrir au cinéma à partir du 17 avril.
Avis
Amal, un esprit libre de Jawad Rhalib ne passera pas inaperçu, autant pour le sujet qu'il traite que la qualité de l'œuvre. Le réalisateur nous entraine aux côtés d'Amal dans une lutte contre l'islamisme radical, un combat passant par la littérature et le pouvoir des mots, mais à quel prix ? Un film qui ne vous laissera pas indifférent, porté par le jeu de l'actrice principale, Lubna Azabal. Amal, un esprit libre vous fera frémir.