Cette adaptation du roman 1991 de Franck Thilliez rouvre un dossier oublié et éclaire les débuts d’un flic pas encore fracassé.
Cette adaptation en bande dessinée de 1991 qui signe le retour aux origines de Sharko, d’après le roman de Franck Thilliez, nous replonge au cœur des années 90, dans un Paris humide, gris. Dans un Paris encore traversé par les cabines téléphoniques, les machines à écrire et les archives poussiéreuses du 36, quai des Orfèvres. 1991 révèle un Franck Sharko encore novice, loin du flic brisé qu’il deviendra.
1991 : dossier ouvert
L’histoire démarre en 1991, alors que Franck Sharko arrive du Nord pour rejoindre le 36 quai des Orfèvres à Paris. Un homme découvre dans sa boite aux lettres une adresse énigmatique qui va conduire le flic à une scène de crime (un peu façon Seven) : une femme ligotée, le visage enfermé dans un sac, des photos d’enfants. Sharko vient d’être propulsé dans sa première véritable enquête. L’effet est immédiat : le bleu comprend que le métier n’a rien de théorique. La violence du réel s’abat sur lui. Et cette entrée en matière façonnera le reste de sa carrière.

Profil des coupables
Luc Brunschwig est un scénariste de bande dessinée français reconnu pour ses récits profonds et humanistes, souvent ancrés dans des thématiques sociales ou politiques. Il a écrit des séries marquantes comme Le Pouvoir des innocents, le thriller L’Esprit de Warren ou encore la saga de science-fiction Urban. Au cours de sa carrière, il a collaboré avec de nombreux dessinateurs de talent, et a également travaillé avec son frère Yves sur Les Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam.
Michel Montheillet est scénariste et illustrateur de bandes dessinées français. Il a notamment illustré les adaptations BD de deux grandes sagas littéraires de l’auteur Maxime Chattam : L’Autre-Monde et La Trilogie du mal. Enfin, il a écrit et collaboré à plusieurs ouvrages de référence comme Les Archives LUG et Sup’Héros.
Franck Thilliez est un romancier français incontournable, spécialisé dans les thrillers scientifiques et psychologiques à l’ambiance sombre et minutieusement documentée. Ancien ingénieur, il s’est imposé comme l’un des auteurs les plus lus en France, notamment grâce à sa célèbre saga mettant en scène le duo d’enquêteurs Franck Sharko et Lucie Henebelle. Ses œuvres à succès, telles que Le Syndrome E, Atomka ou Angor ont également été adaptées en BD par les éditions Philéas.

L’intrigue 1991 : une enquête fondatrice
La BD suit Sharko au moment où il découvre la dureté du terrain. Le décor parisien devient un personnage à part entière : grisaille, rues étroites, pluie persistante, bureaux saturés de fumée. Tout joue contre lui, ou presque. Le jeune inspecteur s’entête pourtant. Il suit la piste de la photo, interroge, fouille, recoupe, parfois maladroitement, mais toujours avec sincérité.
La tension se construit à mesure que l’enquête avance. Les indices s’enchaînent, déroutent, trompent. Les certitudes se délitent. Cette première affaire agit comme un révélateur : Sharko découvre que le métier s’insinue dans chaque recoin de sa vie, jusqu’à entamer sa relation avec Suzanne, encore lumineuse à l’époque. L’équilibre vacille. Le flic en devenir ressent les premières secousses d’un destin plus sombre.
Du roman à la BD
Lecture croisée
Le passage du roman à la BD conserve l’essentiel : le contexte, la tension, la rigueur policière et l’identité des années 90. Le lecteur retrouve un Sharko encore intact, ainsi que le parfum de cold case propre à l’univers Thilliez.
La BD se distingue néanmoins par sa mise en scène visuelle. Elle remplace les introspections par des regards, des gestes crispés, des silences lourds. Le rythme s’accélère. Les émotions apparaissent directement sur les visages. L’image impose un cadre plus serré, plus immédiat. Le roman prenait le temps de déployer les sensations ; la BD, elle, les matérialise grâce à ses couleurs, ses ombres et son encrage marqué. De plus, le trait de Michel Montheillet et les couleurs de Cyril Saint-Blancat & Bonaventure, dans les tons ocres et sépia, instaurent immédiatement l’ambiance des années 90 : un monde plus lent, où la technologie n’a pas encore toute sa place.
Naissance d’un flic hanté
Le bleu porte encore un éclat d’innocence. Mais l’enquête le pousse vers une pente qu’il ignore encore. La BD capte ce basculement. On voit la tension se loger dans ses épaules. On sent l’ombre s’étendre. La version jeune du personnage se débat, mais la noirceur gagne du terrain. On assiste à la naissance d’un flic hanté qui deviendra, quelques années plus tard, l’un des personnages les plus sombres et les plus tourmentés du thriller français. On voit l’ombre de son travail l’envahir jusque dans sa vie privée, à travers sa relation qui recule quand l’enquête prend le pas.

L’ADN Thilliez
La BD conserve les thématiques structurantes de Franck Thilliez : psychiatrie, science, manipulations, zones grises, exploration du froid humain. Le cold case devient un symbole du passé qui refuse de disparaître. L’absence de technologie moderne accentue la dureté du terrain : enquête lente, recherches manuelles, intuitions fragiles. On perçoit un monde où l’humain fait encore la différence… parfois au prix de sa propre stabilité.
Mais le vrai cœur du récit reste la genèse de Franck Sharko. Son identité. Son basculement. Sa transformation intime. L’enquête se construit en miroir de son évolution : tandis qu’il progresse, il se dégrade. Tandis qu’il s’affirme, il perd pied. Cette tension donne à l’ensemble sa force émotionnelle.
Luc Brunschwig, Michel Montheillet, Cyril Saint-Blancat & Bonaventure – d’après Franck Thilliez – 1991, 128 pages, paru le 4 décembre 2025.

Avis
1991 offre une plongée dense et tendue dans les débuts de Franck Sharko. L’ambiance rétro fonctionne parfaitement. L’adaptation respecte le roman tout en gagnant en intensité visuelle. Une BD noire, précise, captivante.

