Tenet arrivant à grands pas, nous continuons notre plongée dans le cinéma de Christopher Nolan avec Inception qui après The Dark Knight a imposé son cinéaste aux rangs du plus audacieux réalisateur de blockbuster moderne.
Dom Cobb (même nom que le voleur de Following) est le meilleur des extracteurs : il s’introduit dans les rêves de ses victimes pour y voler leurs secrets. Cependant son activité illégale l’a mis dans le viseur des autorités et l’empêche de retrouver sa famille. C’est sans compter sur une mission de la dernière chance qui peut lui permettre d’annuler les charges à son encontre. Sauf que cette fois-ci il ne s’agit pas de simplement voler un secret mais de procéder à une Inception : implanter une idée dans un esprit. Une tâche bien plus ardue surtout lorsque les démons de Cobb apparaissent au milieu de la mission…
Avec une telle histoire, il est peu surprenant que ce long métrage s’avère être notre favori du cinéaste. The Dark Knight est peut-être son film le plus maîtrisé par le classicisme de sa forme et son efficacité mais le scénario 100% original (les chipoteurs confondront inspiration avec copie de Paprika) d’Inception et les idées géniales qui le traversent nous enthousiasme au plus haut point. Car ce film est avant tout la parfaite rencontre entre l’entertainer ambitieux et l’auteur créatif qu’est Nolan.
Car le cinéaste sait totalement nous impressionner en s’appropriant le genre du film du braquage, dont il n’est finalement plus question de voler mais d’inséminer, et en le mélangeant avec l’onirisme. Les courses poursuites et les fusillades Bondiennes nous en mettent plein les yeux dans des décors qui s’affranchissent de la gravité. Voir Joseph Gordon Levitt se battre avec un ennemi dans un décors véritablement tournant (obsession des effets pratiques oblige) sur la musique extraordinairement épique de Hans Zimmer offre une sensation de cinéma grisante.
Le génie du temps
Qu’on ne se trompe pas, ce n’est pas parce que Nolan aborde le monde du rêve qu’il renie son réalisme obsessionnel. Certes les lois physiques sont quelques fois brisées (Paris se retournant sur elle nous retourne tout autant la tête) mais l’enjeu des missions est que la victime croit être dans la réalité pour mieux le duper. Une réalité simulacre où toutes les habituelles manipulations Nolaniennes ont leur place. Mais une obsession du cinéaste émerge et se valide avec ce métrage : le temps.
Le temps était jusqu’à présent un outil de montage et de narration pour le réalisateur, à travers l’entremêlement de temporalité (Following, Le Prestige, Batman Begins) ou carrément son inversement (Memento). Mais ici, il fait prendre au temps une ampleur bien plus grande en le transformant en enjeu dans l’histoire. L’équipe de braqueurs de songes plonge dans un rêve, qui est dans un autre rêve qui en est dans un autre etc… Et dans chaque niveau de fantasme, l’écoulement du temps s’étire. Une seconde dans un premier rêve s’écoulera en une minute dans un second. Ainsi, les personnages ne peuvent trop faire durer leur mission onirique, ou y mourir, auquel cas leur esprit se perdra dans un temps infini.
Une dinguerie narrative parfaitement représentée visuellement par de splendides ralentis. Enfin Nolan sort de sa réalisation quasi documentaire, sans pour autant la renier, pour nous en mettre plein la vue et exploiter les possibilités esthétiques du cinéma. Son concept de génie du rêve imbriqué lui permet aussi d’offrir une fin à triple climax comme on en a rarement vu en salle et d’une fois encore s’amuser avec le montage en mélangeant trois séquences avec une temporalité différente mais tout en se déroulant au même moment. Une dinguerie on vous dit.
Mais croire que Nolan use des rêves seulement pour ses possibilités high concept et son côté spectaculaire serait sous estimer le monsieur. Il offre littéralement une plongée dans la psychée humaine élevant son récit à un niveau psychologique. Cobb est un personnage rongée par les regrets et la culpabilité d’être en parti responsable de la mort de sa femme Mall, brillamment interprétée par Marion Cotillard (et oui elle joue mieux la morte que la mort). Il veut retrouver ses enfants qui lui ont été arraché. La femme perdue et la famille étant donc tous deux une fois encore moteur de l’histoire. Cobb projette littéralement sa culpabilité dans les rêves, Mall étant un antagoniste qui l’empêche de mener à bien ses missions.
Une plongée dans la psyché Humaine
Son incapacité à faire le deuil est stricto sensu ce qui l’empêche d’avancer dans ses objectifs. Il continue à faire vivre sa femme dans ses rêves, au point de perdre la notion de réalité; tout comme n’importe quel endeuillé pourrait continuer à faire exister un défunt dans ses souvenirs et par cela s’empêcher d’aller de l’avant. La vraie histoire n’est alors pas tant pour Cobb, incarné par un Leonardo DiCaprio charismatique et touchant, d’accomplir cette Inception, mais bien qu’il parvienne à réussir sa rédemption et à faire son deuil.
En ce sens, ce plan final qui aura fait tiré les cheveux à tous les spectateurs n’est peut-être pas tant à interpréter comme un questionnement de la réalité que nous voyons, mais comme l’accomplissement du personnage qui laisse enfin sa femme défunte (la toupie lui appartenait pour rappel) derrière lui.
Quoiqu’il en soit, Christopher Nolan impressionne avec Inception de part son high concept de génie et sa maestria de l’écriture pour présenter un récit grand public complexe mais une fois encore toujours compréhensible. Il prouve que l’on peut mélanger spectaculaire et intelligence dans une même œuvre pleine de substance, de prodige et de différentes interprétations fascinantes pour résulter sur un chef d’œuvre indélébile qui encore aujourd’hui magnétise toutes les mémoires.