L’Amour et les forêts marque le beau retour de Valérie Donzelli à Cannes, dans un conte désenchanté porté par deux sublimes interprètes et la symbiose de deux scénaristes.
L’Amour et les forêts est le sixième long-métrage de Valérie Donzelli, marquant un retour beaucoup plus solide en compétition officielle, 8 années après l’accueil glacial réservé à son Marguerite et Julien, alors adapté d’un scénario de Jean Gruault écrit pour François Truffaut. Pour ce L’Amour est les forêts, tiré du roman éponyme d’Éric Reinhardt, Valérie Donzelli a pu compter sur les services d’Audrey Diwan, avec qui l’écriture semble ici atteindre une certaine osmose. Parce qui si l’on connaissait le talent de metteuse en scène de Valérie Donzelli, oscillant entre les formes et les genres depuis son coloré La Reine des Pommes et son poignant La Guerre est déclarée, son tableau génial d’une fratrie observé sur le récent Nona et ses filles renconte ici le sujet de l’enfermement cher à Audrey Diwan, réalisatrice de l’acclamé L’Évènement.
Il en résulte ainsi d’un conte, à la forme toujours aussi aboutie, et orchestrée par les notes envoûtantes du maestro Gabriel Yared, empruntant (un peu) à Demy, et la signature de Valérie Donzelli qui se mue peu à peu vers le désenchantement, d’une destinée féminine étouffée, dont on reconnaît alors assez évidemment les atours de l’oeuvre d’Audrey Diwan. Parce que si l’on avait reproché à l’actrice et réalisatrice sa mise en scène suresthétisante, mettant de côté l’ampleur de son sujet vertigineux sur l’inceste dans Marguerite et Julien, cette collaboration lui permet ici d’atteindre une toute autre gravité, bien contemporaine et qui conserve cependant une forme aussi belle que cette fois complètement suffocante.
Conte-emporain
L’Amour et les forêts suit donc Blanche (Virginie Efira), femme timide et réservée qui a bien du mal à se remettre de sa rupture. C’est lorsque sa soeur jumelle (également campée par l’actrice, dans une évidente filiation à Tippi Hedren) l’emmène à une soirée qu’elle rencontre Grégoire (Melvil Poupaud), avec qui elle tisse très rapidement des liens. Au point d’un rapide déménagement, d’un premier enfant, et surtout de se rendre compte que Grégoire est en fait un homme possessif et violent. Et l’on reconnaît donc rapidement l’empreinte de la réalisatrice, même lors de sa première collaboration avec le directeur de la photographie Laurent Tangy : de la sororité, des images léchées et une forme toujours aussi travaillée, et ce dans chaque plan, Valérie Donzelli annonce d’emblée s’être emparée du roman d’Éric Reinhardt avec beaucoup de talent.
Mais la cinéaste atteint ici un tout autre niveau, et distille par petites touches toute sa partition de conte suranné (une rapide chanson, une allusion avec une coiffeuse d’enfance), rapidement rattrapé par une histoire qui prend rapidement aux tripes. Parce que pour que le conte se mue en une cellule aussi rassurante que véritablement étouffante, l’écriture d’Audrey Diwan vient rapidement faire basculer L’Amour et les forêts dans une vérité cruellement prenante. Et en plus de ce scénario trouble et anxiogène, de la mise en scène qui distille avec le même talent ce même basculement, il y a évidemment un fantastique duo d’acteurs, avec un Melvil Poupaud en pleine grâce artistique depuis son retour avec OVNI(s) (Les Jeunes Amants, Un beau matin, Petite fleur) et, bien sûr, l’incontournable Virginie Efira.
Hitchcock en stock
Cette dernière n’a ainsi jamais aussi évidemment assumé la filiation avec une certaine Tippi Hedren, tandis que le scénario de Valérie Donzelli et Audrey Diwan distille un suspense dont l’influence à Alfred Hitchcock s’avère parfois relever de l’évidence, sans en rajouter. Mais bien au-délà de cette prouesse, on trouve cette fois dans un métrage de la réalisatrice une observation presque documentaire du profil du pervers, et de l’influence toxique qui aura peu à peu raison d’une femme, à l’image de celle d’un avortement clandestin dans L’Évènement et de la toxicomanie détruisant peu à peu le cocon familial dans Mais vous êtes fous d’Audrey Diwan. L’Amour et les forêts ne se contente ainsi plus de miser sur son atmosphère et ses acteurs, mais décide d’aller jusqu’au bout de son sujet dans un final aussi réaliste que glaçant.
L’Amour et les forêts met ainsi en scène à merveille la mécanique du pervers qui détruit et étouffe toute l’indépendance, la liberté et les couleurs d’une femme, sous la forme d’un conte plus contemporain que jamais où le prince se fait à la fois charmant et bourreau et la princesse à la fois prisonnière et combattante. Des frontières troubles où la symbiose des deux scénaristes relève de l’évidence, oscillant à la fois entre le conte iréel et le drame conjugal contemporain, de la romance au thriller, preuve qu’avec ce qu’il faut de talent, notre cinéma hexagonal sait à merveille s’emparer des genres pour délivrer des projets à la fois nécessaires et véritablement aboutis.
L’Amour et les forêts est actuellement au cinéma.
Avis
L'Amour et les forêts atteste de la symbiose entre deux scénaristes de grand talent, dont les univers s'épousent à merveille dans ce conte aussi désenchanté que cruellement contemporain. Doté d'influences hitchcockiennes, et de deux interprètes magistraux, dont une Virginie Efira qui n'a jamais aussi bien porté l'héritage d'une certaine Tippi Hedren, le film de Valérie Donzelli enchante autant qu'il prend aux tripes.