Après la Loi de Téhéran, le cinéaste iranien Saeed Roustayi débarque au Festival de Cannes 2022 et il n’est pas venu pour profiter de la plage. Avec Leila et ses frères, il propose une fresque familiale d’une grande virtuosité.
C’est d’abord et avant tout une histoire de famille. Au centre, il y a le patriarche : un père tyrannique qui ment comme il respire (cela fait penser à un autre père…). Autour, on suit le récit de quatre frères et de leur sœur. À part cette dernière, il n’y en a pas vraiment un pour rattraper l’autre et on découvre une famille de pieds nickelés qui tente de se sortir d’une situation inextricable avec envie… et incompétence.
Complexe et dense
Fort de ses 2h45, Leila et ses frères prend le temps de développer une histoire aux ramifications scénaristiques foisonnantes. Étonnamment, le film nous fait penser au Parrain de Francis Ford Coppola. D’ailleurs, une séquence dans laquelle le père voit une porte se fermer lentement devant lui, symbole de son exclusion, fait énormément penser à la séquence de fin du mythique long-métrage qui a starifié Al Pacino. Hommage ? Coïncidence ? Difficile à dire. Néanmoins, Saeed Roustayi en impose par la richesse de son écriture.
Entre le thriller social et la comédie, il compose avec des éléments empreints à différents genres. Il révèle une grande maitrise dans la rupture de ton, le retournement de situation et les non-dits. Tous les personnages, excepté peut-être la mère, profitent d’une écriture qui leur donne de la consistance. Au cinéma, il y a cette tendance à caractériser les protagonistes en quelques mots clefs et les faire se comporter en accord avec ceux-ci. Tout en restant proche de cette convention d’écriture, Saeed Roustayi apporte une touche très importante pour donner corps à ses personnages : des paradoxes. Un être humain peut se comporter d’une certaine manière et le lendemain de la manière opposée. Et c’est pour cela qu’ils prennent vie à l’image. Le père peut être un tyran qui ne semble aimer personne et s’inquiéter quand l’un de ses fils fait un malaise au beau milieu de la rue.
Réalisation inspirée
Dès l’introduction, on reconnait la patte d’un grand cinéaste avec une séquence de révolte dans une usine qui sidère par sa force visuelle et son intensité. Au final, ce début qui annonce un film mouvementé n’est pas un bon indicateur pour la suite, car le cinéaste choisit de se concentrer sur la vie intime de cette famille, gardant les grandes scènes à des instants spécifiques. Ces dernières s’avèrent remarquables, Saeed Roustayi enchaîne les idées de mise en scène avec une facilité déconcertante afin d’insuffler de la puissance à son œuvre. Il sait parfaitement lorsqu’il doit poser le rythme de son récit et quand il faut l’accélérer. Ce sens du montage permet à l’œuvre de justifier sa longueur et de tenir sans souci le spectateur en haleine de bout en bout.
Sur les pas d’autres célèbres cinéastes iraniens comme Asghar Fahardi et Jafar Panahi, Saeed Roustayi propose un film social où les personnages semblent pris au piège de la société dans laquelle ils vivent (avec entre autres le sens de l’honneur qui pousse à la ruine et à la destruction de la famille). Petit à petit, le cinéma iranien développe une identité qui lui est propre – à la manière du cinéma coréen – et on peut véritablement parler d’un âge d’or malgré les difficultés politiques pour la production d’un cinéma libre dans ses thématiques.
En soi, Leila et ses frères s’imposent comme un grand film, résultat de l’excellence de son procédé créatif à tous les niveaux (scénario, réalisation, interprétation…). On ne serait pas étonné d’entendre son nom lors de la remise des prix du Festival de Cannes 2022.
Leila et ses frères est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2022 et sortira au cinéma le 24 août 2022
Avis
Ce film dense et complexe se révèle d'une grande virtuosité et confirme la force du cinéma social iranien.