Je m’appelle Adèle Bloom est un thriller mental romanesque et historique à huis-clos dans un asile psychiatrique.
Je m’appelle Adèle Bloom nous livre le récit d’une jeune femme écrivain internée par sa mère dans un asile psychiatrique canadien dans les années 50. Durant ses huit longues années d’enfermement, elle a noirci des carnets qui deviendront un livre et lui permettront de retrouver sa liberté. Elle y raconte son quotidien derrière ces murs en même temps que les pratiques plus que douteuses d’un célèbre neurologue…
Nous avions malheureusement manqué cette pièce lors du Phénix Festival à Paris, mais ce n’était finalement que pour mieux la découvrir dans la superbe salle de la Condition des Soies durant ce Festival OFF. Un bel écrin pour une superbe pièce.
Et la médecine fit des ravages…
Pas de liberté, pas d’effets personnels, et pas de droit à l’erreur : la chambre avec vue sur mer dans laquelle on installe Adèle Bloom n’a définitivement rien d’une résidence de vacances. Heureusement, elle s’y fait vite une amie – Poppie – qui lui donne quelques conseils pour que son séjour se passe au mieux. Et puis, elle a son imagination et ses carnets sur lesquels elle écrit en secret pour raconter les conditions de vie terribles et les horreurs qui s’y déroulent.
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Ces horreurs ont un nom. Celui du Docteur Freeman, un neurologue encensé par les médias pour sa pratique des électrochocs et de la lobotomie. La Une du Times qu’il a eue l’honneur de faire – comme avant lui Hitler ou Staline tout de même… – s’affiche d’ailleurs sur le mur de son bureau. Alors, forcément, on se régale du sarcasme avec lequel Adèle défie ce personnage, refusant de se soumettre à ses injections de lithium et à ses méthodes.
Des comédien(ne)s épatants
L’histoire est prenante, bien qu’elle gagnerait à s’alléger de quelques longueurs et détours inutiles. Elle est prenante grâce à la mise en scène très soignée de Franck Harscouët. Grâce aussi aux superbes musiques qui viennent soutenir çà et là la tension dramatique de la pièce. Mais aussi et surtout, elle est prenante grâce au jeu brillant de l’ensemble des comédien(ne)s.
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À commencer par Armelle Deutsch, bien sûr, impressionnante dans ce rôle principal qu’elle tient avec une intensité inébranlable d’un bout à l’autre de la pièce. Tout ce qu’elle donne d’elle, la manière dont elle s’abandonne à son personnage, l’habite jusque dans les plus infimes mouvements de son corps, est si troublante d’authenticité qu’on ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour elle à l’issue du spectacle.
Entre fiction et réalité
Interprété avec la prestance et la froideur nécessaires par Philippe d’Avilla, le détestable Docteur Freeman, aux propos inintelligibles, incarne pourtant la réalité d’une époque pour tout ce qui concerne la perception et le « traitement » des pathologies mentales. Époque où tout ce qui relevait de la différence, de « l’anormalité » était assimilé à de la folie. Une réalité pas si lointaine qui a de quoi faire froid dans le dos.
« Nous ne sommes qu’une boue humaine cimentée dans les murs de l’hôpital. »
Et nous avons au moins autant adoré Sophie-Anne Lecesne qui, dans un style tout autre, est captivante et touchante. Elle apporte un brin de folie, de légèreté, de tendresse aussi à travers les différents personnages qu’elle incarne d’une manière très personnelle. Et notamment Miss Wilbord, l’infirmière qui nous fait davantage penser à une surveillante de prison ; mais aussi la mère d’Adèle qui lui rend visite de temps à autre ; ou encore Poppie.
Une immersion au cœur de la folie
On est saisi d’effroi à la vue de cette pianiste – patiente lobotomisée et petite protégée du Docteur Freeman – qui ne se sépare jamais de sa marionnette à son image. Laura Elko est glaçante dans ce rôle fuyant tant elle semble aussi peu vivante que sa marionnette. Suffisamment vivante tout de même pour nous jouer au piano de superbes airs de Chopin qui viennent appuyer l’atmosphère angoissante.
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Et tandis que l’on observe la folie s’emparer peu à peu d’Adèle, qu’on la regarde s’user et souffrir, un profond malaise nous gagne à l’idée que ce lieu, cet enfermement et ces pratiques psychiatriques moyenâgeuses sont en réalité la cause de son mal. Ça, et puis la solitude, les plaisanteries douteuses de sa mère aussi, qui valent tout de même mieux que son indifférence… Comment ne pas suffoquer et perdre pied quand la vie est ainsi minutieusement vidée de toute sa substance…
Je m’appelle Adèle Bloom est un spectacle marquant qui révèle des comédien(nes) dont le talent devrait résonner dans les rues d’Avignon et au-delà.
Je m’appelle Adèle Bloom, de Franck Harscouët, avec Armelle Deutsch, Sophie-Anne Lecesne, Philippe d’Avilla, Laura Elko, mise en scène Franck Harscouët, se joue à La Condition des Soies, à Avignon, du 07 au 30 juillet à 21h40 (relâche le lundi).
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
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Avis
Si c'est bien d'une œuvre romanesque dont il s'agit, le destin de cette femme nous donne à voir la réalité trouble et glaçante d'une époque. On ressort de cette pièce soulagé de ne pas lui avoir appartenu, et ébloui par l'authenticité de ce qui vient de se jouer devant nos yeux.