Chaplin, 1939 aborde de manière inédite un épisode marquant de la vie du cinéaste engagé à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale.
Chaplin, 1939 évoque un moment-clé et un tournant de la vie de l’artiste populaire à qui l’on doit la critique virulente du fordisme à travers son œuvre Les temps modernes. Face à l’imminence de la guerre en Europe, à l’arrivée du cinéma parlant et de la couleur, et à cette ressemblance troublante avec un certain Hitler, Charlie Chaplin va entreprendre l’écriture d’un film visionnaire, satyre du régime nazi, qui sortira en 1939 : The Great Dictator. Un projet qui se révèlera un profond bouleversement intime pour l’artiste.
Découvert à l’occasion de la première édition du Phénix festival, à Paris, ce portrait captivant et inspiré de faits réels nous emmène à la rencontre d’un homme complexe, multiple, brillant, et de ses parts d’ombre. Un petit bijou !
« C’est beau, l’ombre, c’est l’autre côté de la lumière. »
Muet, mais plus pour longtemps
Bouillonnant de créativité et puissamment inspiré par ce qu’il observe de la société dans laquelle il vit et du danger qui guette, Chaplin tient le sujet de son prochain projet. « Je vais me payer Hitler ! » s’exclame-t-il face à son frère, Sidney, qui tente de le raisonner, inquiet du chemin qu’il semble vouloir prendre. Inquiétudes et mises en garde dont ce dernier se moque. Car ses convictions sont solides. Et il n’est pas homme à laisser la peur dicter sa conduite.
C’est alors ce projet ambitieux et courageux que nous observons prendre forme dans l’esprit du cinéaste, nourri de ses échanges tumultueux avec son frère donc, puis avec sa compagne du moment, Paulette Goddard. On découvre un Chaplin brillant et malin, attachant et agaçant, qui manie à merveille l’ironie et le sarcasme ; qui défend contre vents et marées sa liberté ; qui refuse de se contenter de divertir, de se résigner face aux menaces qui grondent sur le monde. Un Chaplin qui veut porter un message, crier des vérités, réveiller les consciences. Prendre la parole, enfin. Et coûte que coûte.
Un condensé de talents
Dans ce rôle principal, Romain AK est – comme à son habitude – totalement hypnotique. Il semblerait que ce soit une habitude chez ce comédien que nous avions découvert en 2018 dans l’adaptation du roman de Nathalie Sarraute, Pour un oui pour un non, et que nous redécouvrons chaque fois sur scène avec le même bonheur. Ici, son interprétation de Chaplin est tout simplement brillante. Sa gestuelle, ses mimiques, ses silences : l’incarnation est d’une précision épatante.
Les deux comédiens qui lui donnent la réplique sont tout à fait à la hauteur. Alexandre Cattez campe avec solidité le personnage de Sidney, tandis que Swan Starosta – dans le rôle de Paulette – s’impose avec beaucoup de prestance face à un Chaplin parfois odieux. Elle le confronte aux similitudes troublantes entre son parcours et celui d’Hitler, à leurs ressemblances physiques aussi, à cette moustache que le dictateur lui aurait volée ! Et on sent, dès lors, la confusion et le trouble s’insinuer en lui, jusqu’à venir recouvrir toutes ses certitudes.
Charlie sans Charlot
Car si ce film a marqué son époque et l’Histoire du cinéma, c’est aussi sur l’histoire personnelle de Chaplin qu’il a eu un impact majeur. En le mettant face à son passé, à ses fragilités, à ses mensonges ; à tout ce qu’il ne pourrait désormais plus dissimuler sous son personnage de Charlot. Un bouleversement intérieur, intime, aube d’une résilience qui se joue sous nos yeux, dans une mise en scène sobre, d’une grande élégance, et délicatement teintée de touches de poésie.
Et puis il nous faut parler de ce texte, riche et d’une grande finesse, qui nous met face à un autre talent duquel nous n’étions pas non plus étrangers : celui de Cliff Paillé. Chaque phrase est pertinente, aucun mot n’est de trop. Une plume et une sensibilité qui nous avaient déjà conquis avec la pièce Tant qu’il y aura des coquelicots, récompensée de trois victoires aux P’tits Molières 2018. Nul doute que cette nouvelle création est bien partie pour suivre le même chemin.
Chaplin, 1939, fait sourire, fait rire, interroge, provoque aussi. Du théâtre de grande qualité.
Chaplin, 1939, de Cliff Paillé, par la Compagnie Hé Psst !, mis en scène par Cliff Paillé & Sophie Poulain, avec Romain AK, Swan Starosta & Alexandre Cattiez, se joue à l’Espace Roseau Teinturiers, à Avignon, du 06 au 31 juillet à 14h25 (relâche les lundis).
Puis, du 25 août au 10 octobre au Lucernaire, à Paris.
[UPDATE 2023] Se joue du 07 au 29 juillet 2023, à 17h55, au Théâtre La Luna au Festival OFF d’Avignon.
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