Avec Miséricorde, Alain Guiraudie signe un polar qui enfonce des portes ouvertes vers un genre glauque et très grinçant. On y suit Jérémie qui retourne dans son village d’enfance pour l’enterrement du boulanger, son ancien patron. Un retour qui se fait sous le sceau du poison de la jalousie.
En sélection officielle pour le festival de Cannes Première 2024, le film a reçu le Prix Louis-Delluc en 2024. Nommé 8 fois pour la 50ème cérémonie des Césars, Miséricorde a pourtant quitté l’Olympia bredouille, écrasé par le succès du poids lourds de Jacques Audiard, Émilia Pérez.
L’art de brouiller les pistes
Miséricorde d’Alain Guiraudie, c’est le genre de film qui nous donne l’impression qu’on sait dans quoi on s’embarque. Mais ce n’est qu’une impression. Guiraudie nous prend par la main et ne cesse de nous enfoncer plus loin dans une narration sans queue ni tête. Miséricorde est un polar qui se déroule dans un petit village de l’Aveyron (magnifiquement filmé par ailleurs), une belle forêt, des cèpes.… Non ce n’est pas Quand vient l’automne, bien tenté. Ici c’est deux hommes qui vont cueillir des champignons. D’ailleurs, si vous tombez sur des morilles en automne, vous devriez sérieusement vous poser des questions.

Entre quelques beaux plans de la forêt, on commence enfin à comprendre ce dont il est question. Jérémie (Félix Kysyl), revient dans son petit village à la mort de son ancien patron. Il reste dormir chez Martine, la veuve du défunt. Les choses se gâtent lorsqu’il décide de ne plus partir. Il dort dans la chambre de Vincent, son ancien ami perdu de vue, passe du temps avec la mère de celui-ci… Une scène en particulier semble faire vaguement écho à Plein Soleil. On en vient presque à se demander si Guiraudie ne filme pas Kysyl comme une espèce d’Alain Delon qui viendrait voler la vie de Vincent. Progressivement, les rapports entre les deux hommes deviennent électriques. Électrique oui, mais encore faut-il qu’ils reflètent une quelconque émotion.
Des personnages absents
Ce point précis est sûrement très discutable. Miséricorde nous donnent à voir des personnages plutôt imperméables, et disons-le, plutôt assez chiants. Félix Kysyl est certes, mignon, mais c’est à se demander s’il sait sourire. Et c’est pareil pour tout le monde. Aussi bien Catherine Frot (Un air de famille, Le Dîner de Con), David Ayala (D’argent et de sang) que Jean-Baptiste Durand (Chien de la casse) nous donne cette impression de ne pas savoir sur quel pied danser. Ce malaise apparent paraît dans un premier temps lié à l’absence de musique sur toute la durée du film. Sans accroche sonore, on ne peut que voir le visage lisse des personnages. On est donc confronté directement au regard vide de Kysyl.

Miséricorde se construit sur ce balancier constant, entre gêne et incompréhension de ce qui est en train de se passer. Peut-être qu’Alain Guiraudie s’adresse à un public particulier. Cela dit, quand on arrive pas à se plonger dans cette forme de polar grinçant, le résultat n’est pas des plus satisfaisant. Prenons par exemple, Catherine Frot, nommée cette année au Césars dans la catégorie de la meilleure actrice dans un second rôle. Sa présence, si elle n’est certes pas constante, pose question. Elle n’a que peu, voire pas du tout d’émotion. Comme un espèce de robot, elle est difficile à appréhender. Exactement comme tous les autres ! On ne s’attache à aucun d’entre eux et on est spectateur distant de la jalousie qui vient pourrir les relations de ce petit village.
Où tout le monde aime tout le monde
Le seul qui, dans son étrangeté, paraît pour le moins normal (et c’est d’ailleurs bien triste) c’est Philippe Griseul. Curé du village, le personnage de Jacques Develay (Baron Noir) coche toutes les cases du vieux auprès de qui on a pas trop envie de s’attarder. Pourtant, au fur et à mesure du film, on se dit qu’ils sont au final tous totalement tarés. Et ce bon vieux curé en ressort comme étant sûrement le plus censé. C’est peut-être avec ce personnage que le titre du film prend tout son sens. Philippe Griseul est en effet le seul à faire preuve d’une forme de miséricorde… Si on peut appeler ça comme ça. Dans ce village ou tout le monde aime tout le monde, le moindre silence est en réalité très ambigu.

Pour un public connaisseur de la filmographie de Guiraudie, l’homosexualité est un sujet fréquemment abordé par le cinéaste. Et dans Miséricorde, cette thématique s’y dissémine. Très doucement, la question des préférences sexuelles de Jérémie est introduite jusqu’à prendre toute la place. Des questions viennent se poser parce qu’on ne comprend pas tout. Jérémie regarde la photo d’un adulte torse nu, on lui demande s’il l’aime toujours. Le plan suivant, il est dans les bras d’une femme, celui d’après, il se glisse dans le marcel crade d’un de ses amis et lui confie son désir. Et puis les uns et les autres commencent à déclarer leur flamme, et on en vient à se demander si les personnages n’auraient pas en réalité une envie de sexe collectif.
Miséricorde est un film très particulier. Alain Guiraudie nous propose une histoire sombre qui se refuse à se laisser décoder. Le tout sur la toile de fond d’une forêt magnifiquement filmée.
Miséricorde d’Alain Guiraudie est disponible en Blu-Ray & DVD depuis le 4 mars 2025
Avis
Aussi gênant que dérangeant après avoir vu Miséricorde d’Alain Giraudie, on ne sait pas réellement comment se positionner. Difficile de dire si on apprécie vraiment ce film tant l’expérience est particulière.