RAGE 2 est gratuit sur l’Epic Games Store en ce moment, l’occasion de revenir sur le premier épisode question de se mettre en jambes ! Si depuis 2016, ID Software semble être de retour au sommet de sa forme – malgré le suivi erratique d’un certain Doom Eternal -, il y a quelques années, les choses en étaient autrement. Après un Doom 3 concédant la victoire à Valve et ses Half Life, autant technologiquement qu’au niveau de son game design, ID a simplement disparu. Ce ne sera finalement que 7 ans plus tard, en 2011, que l’on entendra de nouveau parler de la firme texane, pour ce qui va être le sujet du jour : RAGE.
Doom 3 était une crise identitaire, une crise qui 7 ans plus tard, avec John Carmack et Tim Willits toujours à la tête du studio, ne semble pas être résolue, au contraire. RAGE est donc un Shooter… avec un peu de monde ouvert… des éléments de jeux rally…. et quelques composantes RPG. Voilà où nous en sommes en 2011 ; ID nous fait jouer les livreurs en buggy, entre quêtes principales et secondaires.
Que s’est-il passé ? Tout plein de choses. Des choses qui commencent par une nouvelle version de leur moteur maison, aussi prometteuse que redoutée, le ID Tech 5. Au cœur de cette nouvelle mouture, une nouvelle technologie “révolutionnaire” : MegaTexture. Bon, la technologie sera par la suite abandonnée au profit de modes de rendu plus classiques, mais ce n’est pas le débat. Nous disions donc, les MegaTextures…
Le plus beau jeu moche
Pour faire court, une MegaTexture est une énorme texture, comme tout un flanc de montagne par exemple ; 32000×32000 pixels, dans ce genre de dimension là par exemple. Ce que ça permet ? Une foultitude de détails et un rendu saisissant de loin. La contrepartie ? C’est très disgracieux de près et chamboule complètement le streaming des textures – comprenez que celles-ci vont avoir tendance à apparaître à la traîne. Le rendu de RAGE est tout comme ses MegaTextures, crade mais fourmillant, assez bluffant, encore plus remis dans son contexte. C’était il y a 10 ans déjà.
Certains modèles polygonaux sont très grossiers, leur texture floue, avec un grain omniprésent et dans l’ensemble, un rendu ultra statique sans compter les artéfacts vidéo sur les zones peu éclairées. Les décors n’existent que pour être contemplés, les éclairages aussi sublimes que solides. Si tous ces défauts sont bel et bien notables, RAGE, par on ne sait quelle magie noire est… étrangement beau, ou du reste charmant. Rarement une image aura autant débordée de détails. Même si cela restera à l’appréciation de chacun, pour un jeu photoréaliste, RAGE ne ressemble à aucun autre.
Cela dit, si l’image du jeu de ID est aussi dense, ce n’est pas uniquement à imputer à ses méthodes de rendu et à sa technique, c’est aussi lié à sa direction artistique. Chaque lieu est défini avec une précision folle ; chaque recoin est fait main, soigné, choyé par on ne sait quel graphiste obsessionnel. RAGE est un jeu de maniaque. De son character design à la désolation torturée de Dead City, les idées regorgent et pendant 7 ans, certains se sont fait plaisir. RAGE grouille, abonde, sublimé par des animations franches et expressives, qui exacerbent et donnent vie aux personnages. C’est certainement un des shooters les plus recherchés visuellement, doublé d’un post-apocalyptique aux visuels sublimes et aux personnages soignés.
Les longs discours, c’est pour les longs jeux
Si précédemment, nous parlions de la mise en image du post-apocalyptique de RAGE, ce n’est pas pour rien. Sa représentation visuelle est aussi travaillée que son écriture est tiède. Malgré une galerie de personnages plutôt réussis, accompagnée en plus d’excellents doublages, l’histoire racontée par leur prisme reste très oubliable. La faute n’étant pas tant de son côté convenu, accumulant les poncifs du post-apo sans trop se poser de questions, qu’ailleurs. Son classicisme est assez soigné pour qu’on le lui pardonne.
Ce qui fait véritablement pencher la balance par contre, c’est sa conclusion abrupte, comme une course qui se stopperait sur la crête du tremplin. Les deux dernières missions, la cinématique de fin, le retour au jeu après la fin, tout cela à une douce odeur de vaste blague. C’est bien simple, on a l’impression qu’il manque la fin. Et ne comptez pas sur l’abominable RAGE 2 pour vous conter la suite des évènements, il se la joue soft reboot. RAGE n’a pas de conclusion et n’en aura d’ailleurs certainement jamais.
Le jeu se tenait presque jusqu’à cette ultime déconfiture. Avant que d’un coup, tout vienne sonner creux. Ne comptez ni sur les quêtes secondaires pour approfondir toutes ces pages laissées blanches, ni sur un codex, ni sur quelques développements annexes que ce soit. Le monde de RAGE est une coquille bien aérée, sonnant comme un demi jeu. Même son unique DLC n’arrive pas à le rapiécer, plus préoccupé à ouvrir de nouvelles portes plutôt qu’à colmater tout ce que la seconde moitié du jeu de base laisse en suspens.
Road Rage
Nous avons rapidement abordé la question de ses quêtes annexes et autant finir de l’entériner : elles sont inintéressantes. Généralement, il s’agit seulement de revisiter un niveau déjà parcouru ou de faire une séquence de sniper mollassonne. En vérité, une seule se détache de ce lot qui peine à dépasser la dizaine. La seule qui ait le droit à un environnement dédié, des scripts et des mises en situation uniques. Comme beaucoup d’autres choses dans le titre ID, cet aspect semble survolé. Comme un jeu ne sachant comment utiliser tout ce qu’il a décidé d’implanter. RAGE sent les galères de production, le projet qui se disperse et est rattrapé par la réalité.
Sous toutes ces couches de fonctionnalités superficielles, voire même malvenues, RAGE est en réalité un Hub un peu mal fichu sur lequel est greffé l’accès à des donjons. Les donjons, soit les missions principales du scénario, sont linéaires et d’excellente facture, le reste est assez passable. Le souci, c’est que toute cette seconde partie du jeu, autour des “vraies” missions, est principalement occupée par le buggy… pas de bol, le level design des parties ouvertes est inintéressant, la conduite assez désagréable – la caméra fixe derrière le véhicule en dit long – et la physique très approximative.
Pour se rendre la tâche moins pénible, il sera cependant possible d’améliorer sa voiture. Pour ce faire, il faudra se frotter à tout un tas d’épreuves de course et contre-la-montre, question d’obtenir les titres permettant d’acheter de nouvelles pièces. À la conduite sans intérêt ajoutez donc une IA mal calibrée qui reste systématiquement collée à vos basques ; de quoi calmer vos ardeurs de pilotes. RAGE est un exécrable jeu de voiture, malgré tout le mal qu’il se donne.
Si tout cet à-côté n’est pas non plus affreux, ou du moins n’a pas le temps de le devenir en une dizaine d’heures, reste qu’il souffre de la comparaison avec le coeur de la préparation. Toutes ses gesticulations, finalement assez maigres, ne camouflent pas le vide. Si l’illusion fonctionne sur de petites zones, dès que le jeu s’ouvre un peu trop, tous ses câbles transparaissent dans le néant de sa scène sans vie.
C’est triste puisque le potentiel est là. Les deux villes du jeu, et principalement WellSpring, sont des espaces assez agréables qui font illusion. Ils constituent même une bonne distraction, faire une partie de cartes, aller voir le marchand, consulter le tableau des primes, on sent que la sauce pourrait prendre. C’est clairement dans ce genre de petits espaces soigneusement agencés que le jeu est le plus à l’aise.
Rage mais pas trop
Post-apo oblige, un système de craft est au rendez-vous, avec tout plein de trucs à ramasser. Vous pouvez revendre de la camelote, acheter des recettes, des améliorations d’arme et d’armure, bref RAGE est un jeu dissipé. Malgré tout, cet aspect “collecte” ne prend pas le pas sur le cœur shooter du titre et vient légitimer la fouille des environnements, souvent très travaillée, le tout en ajoutant un peu de versatilité à l’arsenal via la présence de différents types de munitions. Ce sont un peu les ancêtres des tirs secondaires des Doom modernes.
Côté armement, RAGE commence sur les chapeaux de roues, et en à peine 3 heures de jeu, vous voilà déjà affublé de 7 armes différentes. Le jeu de ID ne perd pas de temps et ne fait pas de chichi. De tout son long, il va continuellement ajouter de nouvelles choses à l’arsenal. Au point même qu’il y ait de grandes chances que vous passiez totalement à côté de certaines choses. La faute peut-être à une difficulté trop permissive, même en Ultra-Nightmare – mode de difficulté ultime débloqué après avoir fini l’aventure une première fois.
Les différents modes de difficulté ne semblent se contenter que de jouer sur les valeurs de dégâts, sans par exemple, impacter le prix des objets chez le marchand ou revoir le coup en ressources des crafts. Le souci donc, c’est qu’un rapide tour chez un vendeur pour acheter des munitions peut anéantir une partie du côté improvisation/débrouillardise et du même coup, amoindrir le challenge. Et si la difficulté a le bon goût de pousser l’expérience dans le bon sens, laissant de la place à l’agressivité, il en reste que le Resource Management ne semble pas plus exigeant, même dans les modes de difficulté avancée. Après vérification, seul le mode Ultra-Nightmare affecte plus largement l’équilibrage du jeu, mais il faudra comme dit plus haut d’abord finir le jeu, pour un résultat pas beaucoup plus convainquant.
En résulte donc ici et là un challenge maussade qu’il faut parfois aller soi-même chercher et qui risque de faire défaut à beaucoup de joueurs et joueuses non avertis. On ne peut que vous conseiller de lancer le jeu en Difficile, voire directement en Nightmare, garder en tête que de toute façon le challenge est modifiable en deux clics dans les options.
Se beurrer le Wingstick
Malgré quelques accros côté challenge donc, le titre sait se rattraper. Le corpus d’armes est bien choisi, complémentaire et jouissif à utiliser, formant en bout de chaîne un FPS assez généreux, aux sensations doublées cuir. Un bilan positif confirmé par une IA qui fait le taf, se déchausse gentiment de votre viseur, réagit de façon très localisée et précise aux dégâts, joue en groupe… Les feedbacks visuels comme sonores de leur côté font aussi un excellent travail.
Côté rythme de jeu, on se retrouve avec un F.E.A.R. “shotgun oriented”, avec un bon équilibre entre prises de position agressive et temporisations, avec un bestiaire qui sait parfois bouleverser les dynamiques. On sent la maîtrise d’ID de son sujet malgré des emprunts aux FPS modernes et consoles, de la visée à la mire, à la nécessité de rechargement et jusqu’à la fameuse vie qui se régénère.
Pourtant, restent dans RAGE de bonnes trouvailles. À l’image de ce boomerang tranchant, le Wingstick. Combinez-le avec un shogun, quelques mutants et vous obtenez des cocktails délectables. Faites des jeux vidéo oui, mais surtout mettez-y des Wingsticks et des shotguns.
Malgré tous nos bons mots cela dit, une inertie moins “lunaire” et un petit switch d’armes plus rapide n’auraient pas fait de mal non plus. Surtout qu’entre le sprint et le rechargement des armes, il semble se trouver des situations où ses actions sont priorisées sur un changement de flingue, un choix assez discutable.
Le monde d’après
RAGE, à défaut d’être un jeu “typique” de son studio, est un jeu typique des années 2008-2012. Que cela soit dans certains choix de design ouvertement pensés console ou dans son portage PC limité – heureusement qu’il existe des outils pour corriger le tir. RAGE n’est pas parfait, l’œuvre d’un ID Software qui ne semble pas totalement assumer son héritage, qui se perd en “features” pour au final ne réussir que 2 choses, sa réalisation visuelle et son gameplay shooter. Comme quoi un certain talent leur colle à la peau.
Quant à positionner le jeu maintenant, en 2021, presque 10 ans après sa sortie, compliqué de nier que RAGE est un oublié… oubliable. Pas au point de le poignarder comme l’a fait le très médiocre RAGE 2, mais pas au point d’encourager Bethesda à reprendre sa commercialisation en grande pompe – même si le faire atterrir dans le Microsoft Game Pass serait le bienvenu. Si à titre personnel, on apprécie le jeu, malgré ses défauts, on lui en veut surtout d’être une occasion manquée et le produit de son temps. C’est donc plutôt une recommandation à l’occasion, vous passerez peut-être un moment sympathique, contournant ses aspects fourre-tout pas toujours heureux. Peut-être rigolerez-vous aussi en découvrant une fiche de personnage au détour d’un menu. Qui es-tu RAGE ? Qui devais-tu être ?