Dispatch fait office de retour tant attendu des vétérans de Telltale, tandis que leur nouveau studio AdHoc livre un savoureux récit super-héroïque. Les 8 épisodes constituant le jeu sont tous disponibles, l’occasion de voir ce que vaut ce renouveau du jeu narratif !
Avant Dispatch, un peu d’histoire ! Il y a une décennie, le genre du jeu vidéo narratif connaissait ses heures de gloire ! On pourra évidemment citer Quantic Dream et les ambitieuses productions cinématographiques de David Cage (Heavy Rain, Beyond Two Souls, Detroit Become Human). Ou encore le phénomène que fut Life is Strange (seul véritable coup d’éclat de Dontnod !).

Mais c’est bien le studio Telltale (développeurs de LucasArts sur la série Monkey Island) qui aura été la véritable locomotive de cette nouvelle itération du point’n’click : Retour vers le Futur, Game of Thrones, The Expanse, Les Gardiens de la Galaxie, Jurassic Park…. De nombreuses IPS ont eu droit à leur jeu vidéo, tandis que le studio aura accédé à la légende grâce aux superbes épisodes de The Walking Dead (le premier jeu est encore une perle d’émotion) et au cultissime The Wolf Among Us.
Telltale is back… ou presque !
Des jeux à la structure narrative de série TV, où le joueur décide des actions de son personnage via des moments-pivots centrés sur des choix drastiques, tandis que l’aventure est rythmée par des phases d’exploration et de l’action en QTE. Des choix permettant d’obtenir diverses fins dans ces histoires donnant finalement l’illusion que nous sommes le véritable héros !
Malheureusement, Telltale n’existe plus tel qu’on l’a connu. Et alors que le studio bosse toujours sur l’arlésienne The Wolf Among Us 2 en effectif drastiquement réduit… l’équipe originale a majoritairement formé AdHoc Studio après la fermeture initiale de Telltale ! C’est ainsi que Dispatch s’articule comme la renaissance du genre, conservant la structure épisodique en 8 épisodes, et ce dans dans un univers complètement original.

Nous sommes dans un monde de super-héros et de super-vilains ! Dispatch se déroule ainsi à Los Angeles, tandis que nous découvrons Robert Robertson (doublé par Aaron Paul !) troisième du nom. Comme feu son père et son grand-père avant lui, ce trentenaire taciturne sans aucun super-pouvoir est en réalité Mecha Man, un héros combattant le crime dans un exosquelette géant digne de Iron Man. Combattant l’obscur Spectre (mastermind maléfique ayant Robertson Sr) et son groupuscule terroriste du Cercle Rouge, Robert perd malheureusement le combat d’une vie.
Mecha Man détruit, seule une retraite anticipée semble être à l’horizon. C’est dans ce contexte doux-amer que Robert fera la rencontre de la super-héroïne Blonde Blazer (Erin Yvette, habituée des productions Telltale). Cette dernière va l’inviter au SDN (Superhero Dispatch Network), un centre de logistique planifiant les actions de diverses équipes de héros. Assigné à la Team Z (une bande de malfrats tentant de se reconvertir en sauveurs), Robert va devoir trouver le moyen de donner un nouveau sens à sa vie !
Univers savoureux
Certes, le monde des super-héros n’a désormais rien d’exceptionnel, mais Dispatch se veut immédiatement rafraîchissant en terme de tonalité. Plus proche d’une œuvre de Robert Kirkman (Invincible) que de Marvel, le jeu oscille entre humour, drame et action dans la veine de The Wolf Among Us, croquant des personnages truculents immédiatement identifiés.
Mais ce qui interpelle d’entrée de jeu est l’excellente réalisation globale de Dispatch, dont les cinématiques léchées nous emmènent réellement au-delà des designs plus polygonaux de Telltale. Comme l’impression de voir une vraie série d’animation en somme, servie par un excellent casting vocal : outre le timbre d’Aaron Paul, on notera Jeffrey Wright en mentor speedster ou bien la toujours excellente Laura Bailey (The Last of Us Part II) pour Invisimeuf.

Cette dernière constituera l’autre charpente dramaturgique vraiment réussie de Dispatch : cette ancienne malfrat capable de se rendre invisible est ainsi sous notre aile en tant que possible love interest, tandis que son tempérament brut de décoffrage cache en sous-marin une personnalité brisée et sensible qu’il sera captivant d’explorer au détour des nombreux dialogues.
Plus vidéo que jeu ?
Car si les ingrédients du jeu vidéo narratif sont bien présents dans ce Dispatch, le titre d’AdHoc ne se joue pas comme un Telltale! Au contraire, le scénario se suit finalement de manière bien passive comme un feuilleton ponctué de cinématiques, laissant une rare illusion de QTE lors des scènes d’action (bien construites, en particulier le climax). Sommes-nous toujours dans du jeu vidéo ou bien s’agit-il d’un procédé finalement similaire à Black Mirror Bandersnatch ?
Non plus, car Dispatch cache en réalité sa véritable boucle de gameplay au détour de multiples séquences de « dispatching » à partir du deuxième épisode : tel Robert Robertson, nous découvrons les stats/specs de chaque héros (Flambae le pyromane, Golem le tank, Court-pif le teigneux..) et devons gérer rapidement diverses situations crises sur la map de L.A. en y envoyant le ou les bon(s) héro(s) adapté(s) à chaque situation (le tout avec une difficulté croissante).

Une sorte de jeu de dé (dont les probabilités augmentent ou décroissent en fonction des capacités de chaque pion), tandis qu’il faudra tenir compte du temps de récupération de chaque personnage, sa faculté à être blessé si échec de dispatching, etc… Nous ne sommes pas dans du cRPG à la Disco Elysium, mais cette facette de Dispatch se révèle finalement bien prenante, permettant en plus de faire monter les points de compétence des personnages, de jongler avec des power-ups bonus d’association et d’assister en temps réel à des discussions liées au scénario en cours.
cRPG-lite
La réalisation des scènes du jeu ne donnent pas assez de matière pour en savoir plus sur chaque membre de la Team Z (on se concentrera sur une petite poignée, d’autant que certains choix nous coupera de certains), et on ira même jusqu’à dire que la déception de Dispatch tient dans l’absence de congruence entre le cœur de son gameplay (les phases de dispatching et de piratage) et la narration au sens large avec les bifurcations narratives.

On pinaillera peut-être sur certains révélations finales (tout ce qui touche à Spectre demeure trop classique). Pour le reste, difficile de ne pas être happé par cette production avant tout centrée sur la psychologie de ses anti-héros réorientés professionnellement et humainement, d’autant que le scénario propose là encore plusieurs fins (plus ou moins heureuses) qui s’avèrent toutes aussi pertinentes les unes que les autres.
De quoi donner un vrai coup de polish à un genre phagocyté dans tous les sens, alors qu’AdHoc signe ainsi une vraie résurrection du genre narratif en embrassant son côté pseudo-linéaire et cinégénique. Le tout en proposant tout de même des phases de gameplay bien orchestrées et raccord avec le concept même de Dispatch. Pour un éventuel second jeu, on espèrera tout de même de plus amples interactions entre gameplay et scénario !
Dispatch est disponible sur PC et Playstation 5
avis
Dispatch orchestre avec panache la résurrection du jeu vidéo narratif en embrassant la dimension cinégénique de Telltale. Une incursion savoureuse dans un univers super-héroïque avant tout centré sur des personnalités brisées en quête de rédemption, le tout dans une fabrication exemplaire. Si AdHoc réussit son pari, y compris dans des séquences de gameplay "cRPG-lite" étonnamment fun, le manque de réelle congruence entre game design et narration à choix empêchent le triomphe total de l'ensemble. Reste un petit incontournable pour tout amoureux du genre, et l’œuvre super-héroïque de l'année !
- Histoire
- Gameplay
- Game Design
- Graphismes
- Bande Son
- Durée de vie

