Avec Un silence, Joachim Lafosse réausculte une famille dysfonctionnelle, dans un tableau noir plus aride, mais dont la tension finit par prendre aux tripes.
Un silence succède au poignant Les Intranquilles, qui après L’économie du couple, consacrait définitivement le talent inégalable de Joachim Lafosse lorsqu’il s’agissait de croquer des portraits de couples en crise. De l’appartement transfiguré en cellule d’un amour qui se meurt définitivement après un divorce, à celui d’un atelier de peinture dont les murs s’avèrent bien trop étroits pour exprimer la folie d’un père qui détruit, Un silence s’avère à la fois plus radical dans ses choix de mise en scène, et encore plus glacial dans ce qu’il entreprend de nous conter. Suite logique des deux œuvres précédentes citées du metteur en scène, il y a dans ce dixième long-métrage une maîtrise presque assumée du sujet, se dirigeant ici vers une épure qui désarçonne avant de complètement nous scotcher.
Parce qu’Un silence est, plus que jamais, une œuvre de notre temps. Porté par un couple de cinéma idéal, Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil, qui se retrouvent dans une affaire de faits-divers plus de vingt années après l’adaptation de l’affaire Jean-Claude Romand de Nicole Garcia (elle-même adaptée du roman éponyme d’Emmanuel Carrère), L‘Adversaire, elle suit ainsi le silence d’une mère de famille vis-à-vis des envies de justice de ses enfants envers un père bien sous tous rapports. Il s’agira ainsi dans cette critique de ne quasiment rien vous révéler des rebondissements de ce tableau mortifère d’un couple, dont le manque de dialogue et de considération pour une parole qui cherche à se libérer résonne donc plus que jamais.
Un malaise
La narration que choisit Joachim Lafosse peut ainsi désarçonner au premier abord. Débutant par une scène d’interrogatoire dont on découvrira qu’il s’agira en fait d’un flashback, le cinéaste laisse ensuite pleinement les clés au spectateur pour s’imprégner et s’interroger sur ce climat de malaise régnant dans de luxueux domicile familial, perpétuellement gardé et scruté par des journalistes. Et, sans ne jamais trop en dire et en révéler, déjà une brillante (mais discrète) idée de mise en scène confirmant l’ambition d’épure du cinéaste, mettant en contradiction un terrain privé où le personnage public s’avère bien peu reluisant, et celui d’une place publique où ce dernier prend des atours de chevalier blanc.
Parce que l’homme dont on parle est un homme de pouvoir, un avocat consacré comme un héros pour sa lutte acharnée pour la justice (Daniel Auteuil), dont en peu de scènes et très peu de dialogues, Joachim Lafosse parvient tout de même à croquer comme un terrifiant patriarche, aussi déséquilibré que manipulateur. Face à lui, une mère, (Emmanuelle Devos) cantonnée au silence et aux affaires privées, bien moins reluisantes et exposées et pourtant dévorantes face au déséquilibre d’un fils, et les envies de justice de deux autres enfants, qu’il faudra une fois de plus faire taire, afin de protéger à la fois un rang social et l’image publique bien sous tous rapports, d’une vérité qui n’en peut plus d’être tue.
Une vérité
L’aridité de la mise en scène, qui reste fidèle aux obsessions du cinéaste à savoir montrer ce que l’on ne voit pas, scrute, parfois telle une caméra de surveillance les déséquilibres, les dérapages, et surtout l’intimité mortifère d’un mensonge qui étouffe. Outre la fabuleuse interprétation de ses acteurs.rices, Joachim Lafosse réalise ainsi à la mise en scène une petite prouesse : rendre cinématographique et tendu des dialogues qui n’ont jamais lieu, tout en se contentant d’en filmer les ravages, dans cette propriété cossue qui prend des airs d’enfer domestique. D’une tension qui monte crescendo, au fur et à mesure des révélations, et rend ainsi encore plus palpable ce dispositif éclatant dans un dernier acte toujours aussi sec et prenant.
Moins poignant et déchirant que ses deux précédentes observations du couple, Un silence pourra ainsi paraître plus clinique, mais s’avère pourtant être l’énième confirmation d’un très grand metteur en scène et directeur d’acteurs. Mettant au premier plan ce mutisme comme dispositif d’une mise en scène qui désarçonne au premier abord mais qui s’avère finalement ravageuse, Joachim Lafosse parvient en très peu de mots et de gestes à faire exploser un mensonge qui n’en peut plus d’être porté. Un film comme un cauchemar dont la voie de sortie s’incarne en une parole, qui se fait définitivement libératrice et infiniment précieuse, telle une urgence à rappeler.
Un silence est disponible en VOD, Blu-ray et DVD.
Avis
Un silence est ainsi l'œuvre la plus aride de son cinéaste. Il en demeure pourtant la véritable prouesse de parvenir à mettre en scène des dialogues qui n'ont jamais lieu, une vérité tue qui empoisonne au cœur d'un récit dont la tension montant crescendo finit par résonner et prendre aux tripes.