S’il avait divisé les avis, jusque chez nous lors de la projection à Cannes, la sortie de Pacifiction au format physique par Blaq Out permet de se replonger dans cette errance fascinante qui ne laissera personne indifférent.
En Polynésie française, un représentant de l’État Français tente de naviguer entre les problèmes sociétaux d’un territoire négligé par la métropole et la menace incertaine du retour des essais nucléaires dans l’océan Pacifique. Écrit et réalisé par Albert Serra, Pacifiction – Tourment sur les îles, est donc sur le papier un thriller politique dont la forme se rapprocherait pourtant bien plus d’un film expérimental, hypnotique et halluciné.
A la manière d’un film de David Lynch, Pacifiction vient ici brouiller la piste entre propos social engagé et expérience sensorielle déroutante. D’ailleurs, et c’est en partie la plus grande réussite du métrage, les caméras déplacées par le réalisateur empêchaient aux acteurs de reproduire les mêmes scènes, comme Benoît Magimel (incroyable) qui, privé de scénario, n’était aiguillé que par la voix du réalisateur espagnol qui le guidait en temps réel via une oreillette. Une performance tant émotionnelle que visuelle pour une œuvre singulière.
Pas si incompréhensible
S’il fallait commencer par exprimer nos doutes quant à ce fameux Pacifiction – Tourment sur les îles, on se plaindrait sûrement de la lenteur du métrage. Extrêmement lancinant, composé d’un faux rythme constant, on tend à se perdre, à piquer du nez devant sa durée monstrueuse de 2h45 avec une narration déconstruite. Pas dans le sens post-moderne avec des allers et retours temporels, mais bien une déconstruction pure et simple. On ne sait pas où l’on va, sinon qu’on y va. Sans réelle intrigue avec rebondissements et retournements de situation, ici tout s’enchaîne nonchalamment, comme une tranche de vie un peu surréaliste. On navigue à l’aveugle aux côtés d’un politicien aimable, se frayant un chemin au milieu de la jungle et des polynésiens en proie à la hantise du retour des essais nucléaires français.
Ainsi, le fond parait très engagé or pourtant le film prend un malin plaisir à mélanger les genres, à nous faire douter de sa portée sociale. On alterne ici et là entre comédie absurde et thriller politique sans oublier un naturalisme halluciné. On hésite donc à rire de Magimel engoncé dans un costume trop petit pour lui, à craindre pour la survie des personnages lors d’échanges tendus ou à contempler ce qui parfois se rapproche d’un documentaire immersif tant l’ultra-réalisme des plans et des échanges confondent le spectateur. En bref, une vraie proposition de cinéma, délicieusement surprenante.
Pas si moche
Une prouesse établie entre autres par les plans très maîtrisés de Albert Serra. L’académisme du réalisateur transpire à travers des travelings intrusifs, des panoramiques contemplatifs ou des scènes entières composées caméra à l’épaule pour une immersion décuplée. Ça respire la véracité, de cette technicité jusqu’à l’énonciation de dialogues ciselés, troublant de réalisme. Pour ça on peut remercier la diction de Benoît Magimel, très aidé par la dictée effectuée par Serra himself dans son oreille en temps réel, pour une plus grande immersion. En résulte un réalisme effrayant des discours politiciens, alambiqués, déconstruits, lourds de sens mais également vides de substance.
Il faut bien donc reconnaître l’incroyable talent de l’acteur (qui vient d’ailleurs de remporter le César de meilleur acteur pour la deuxième année consécutive), de tous les plans, ici parfaitement impliqué et convainquant en politicien doucereux, mêlant avec délectation les jeux de séduction ou de menace tout en frayant comme un poisson dans l’eau au milieu de polynésiens un peu suspicieux quant à son implication dans leur politique locale. De même, saluons la performance de Pahoa Mahagafanau, qui irradie littéralement l’écran à chacune de ses apparitions. Une belle antithèse de Magimel, magnétique et magistral mais paradoxalement très caricatural et à l’absurdité physique indéniable, caché derrière ses lunettes bleutées et son costume blanc immaculé.
Dernier point et pas des moindres puisqu’on parle de couleurs, la photographie de ce Pacifiction est incroyable (également couronnée aux César 2023 pour la meilleure photographie). Artur Tort, également chef monteur aux côtés de Serra, opère ici avec brio, capturant des images magnifiques, presque surréalistes. Les paysages naturels de la Polynésie côtoient les plans en intérieur, boites de nuit ou habitations, qui sonnent comme autant de moments féériques, hallucinés, toujours magnifiés par une sorte de brouillard optique délicieux et qui augmente encore la sensation hypnotique de ces images, à la colorimétrie délicatement saturée. Du grand art.
Très perturbant dans son approche narrative, bavard et très lent, Pacifiction est pourtant un film à déguster si vous avez le temps, pour le jeu de Benoît Magimel d’abord et pour son aspect surréaliste ensuite. Une perle rare, que vous pouvez tenter de gagner via notre concours.
Pacifiction – Tourment sur les îles est disponible en blu-ray, DVD & VOD le 7 mars 2023.
Avis
S'il déstabilise autant qu'il envoute, force est de constater que Pacifiction est un bijou de mise en scène et de photographie, comme le meilleur rôle de Benoît Magimel depuis belle lurette. Dommage que ce faux rythme vienne finalement nuire au film de Albert Serra.