Mourir peut attendre est enfin sorti en salles. Après notre critique, l’occasion de faire un bilan plus approfondi sur cet opus qui s’apprête à faire couler beaucoup d’encre et de larmes, en commençant par le positif.
Attention, spoilers.
Mourir peut attendre est le cinquième et dernier opus avec Daniel Craig dans le rôle de James Bond. Et en une quinzaine d’années, et après une arrivée très commentée, il est peu dire que l’acteur aura su marquer les esprits dans son interprétation plus humaine et frontale de l’espion le plus célèbre du 7ème art.
Premier acteur à faire dépasser le milliard au box-office d’une franchise historique et très lucrative, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson ont donc voulu perpétuer l’audace du jeu de Daniel Craig au détour d’un départ en fanfare, qui devrait diviser beaucoup de spectateurs. Mourir peut attendre se propose en effet comme une audacieuse conclusion pour Daniel Craig comme pour James Bond, et l’on revient ici sur pourquoi en plusieurs points.
Une introduction toute en rupture
Dès ses premières secondes, Mourir peut attendre annonce son audace. Le mythique gun-barrel se passe de sang, comme l’introduction mettant en place le célèbre agent et annonçant de façon pétaradante la mission à venir. Le film de Cary Joji Fukunaga fait ainsi le choix de creuser l’histoire d’amour entre James Bond et Madeleine Swann, qui n’en était qu’à ses balbutiements dans l’inabouti Spectre, et Léa Seydoux peut ainsi brillamment synthétiser toutes les conquêtes du célèbre agent en un seul et même personnage (on y reviendra plus tard).
Plus d’annonce en fanfare de l’épisode, mais la séparation de deux personnages qui mise sur l’émotion d’un agent délaissant l’amour pour retrouver l’impassible machine à tuer qu’il était au contact d’un passé et de secrets enfouis qui n’en finissent plus de torturer. Mourir peut attendre sera donc l’épisode de la rupture, et tout cela s’avère introduit de la plus brillante des façons.
Une James-Bond Girl unique
Eva Green et sa prestation dans le rôle de Vesper Lynd auront définitivement réécrit le personnage de James Bond, point central des cinq opus campés par Daniel Craig et de toute la quête vengeresse du personnage. Si l’amourette, maladroit hommage à Goldfinger dans Quantum of Solace avec Gemma Arterton n’aura marqué personne, Skyfall aura laissé la place à M, la mère de substitution, avant que Léa Seydoux ne vienne incarner Madeleine Swann dans Spectre.
Leur rencontre comme leur histoire d’amour étaient alors pensés comme de simples et faiblards outils scénaristiques, censés relier de plus près James Bond à Spectre au détour du personnage de Mr White, père de Madeleine Swann. Les voir repartir ensemble à la fin de Spectre pouvait donc relever de la surprise, chose que Mourir peut attendre comble de la plus intelligente des manières.
Parce que Léa Seydoux synthétise ici toute la classe des James Bond Girl en parfait miroir du personnage de James Bond, trouvant enfin ici une alliée à sa juste mesure. Dissimulatrice, manipulatrice, amoureuse brisée et mère courage, tout ce que propose l’actrice est formidable et devrait enfin faire taire nombre de détracteurs. L’écriture de son personnage est unique au sein de la saga, et l’on se doute que la patte de Phoebe Waller-Bridge y est pour quelque chose.
Un héros (enfin) mortel
Des personnages immortels, James Bond est peut-être l’un des plus incontournables. 60 ans de carrière et autant de blessures, mais une santé de fer et toujours prêt à en découdre avec les antagonistes les plus excentriques de la planète. Pourtant, Mourir peut attendre s’entend poursuivre la quête amorcée dans Skyfall, à savoir celle d’un héros à bout de souffle qui voit peu à peu son monde s’écrouler.
La mort du grand ami et compagnon de route, Felix Leiter amorce en cela un virage important, comme celui du refus de plusieurs femmes de s’ébattre avec le héros. Dans Mourir peut attendre, James Bond a ainsi l’air de revisiter les lieux communs de la franchise, de la base secrète de l’antagoniste aux méchants scientifiques russes sur les ruines d’une Guerre Froide qui aura permis au héros de vivre ses plus belles aventures de cinéma (Bons Baisers de Russie, GoldenEye).
Voir le héros se baisser de soumission devant l’antagoniste, prononcer « ma femme » où même plusieurs fois « je t’aime » n’étaient pas arrivés depuis Au service secret de sa Majesté, en 1969 (dont le générique final fait un clin d’œil avec, en plus de l’Aston Martin, la magnifique chanson de Louis Armstrong). Parce que James Bond n’est plus invincible, le voir devenir père et mari était donc plus que judicieux et pleinement dans la continuité de l’interprétation plus humaine opérée par Daniel Craig depuis Casino Royale.
Le poison que lui inocule l’antagoniste Safin, campé par Rami Malek (on y reviendra dans les points négatifs) est ainsi le même qui aurait pu empêcher le héros de pleinement s’inscrire comme un héros contemporain, le renvoyant face aux limites de son rôle de bras armé impassible et dénué de tout sentiment.
Des prises de position scénaristiques inattendues qui feront couler beaucoup d’encre et diviseront à coup sûr, mais voilà enfin un opus, après Au service secret de sa Majesté, Casino Royale et Skyfall qui décide enfin d’offrir à James Bond un côté plus humain. Mourir peut attendre est ainsi, en plus d’une conclusion audacieuse, un parfait point final au James Bond de Daniel Craig, et à une saga qui aura su pleinement ancrer son héros dans l’ère actuelle.