Présenté au Festival de Cannes en 2019 en séance de minuit, Lux Æterna nous parvient enfin ! Produit par Yves Saint-Laurent, qui signe les costumes, ce moyen-métrage est la nouvelle œuvre coup-de-poing de Gaspar Noé (Climax, Irréversible). Une plongée de 52 minutes dans les coulisses chaotiques du tournage d’un film, portée par Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg !
Gaspar Noé est encore aujourd’hui un des plus grands metteurs en scènes du cinéma français. Mais aussi un des réalisateurs les plus extrêmes, adeptes d’expériences immersives, sensorielles et brutes de décoffrage. Quiconque aura vu le controversé Irréversible, l’halluciné Enter the Void ou bien l’excellent Climax le dira : un film de Gaspar Noé représente avant tout de vraies boules d’entropie nous plongeant dans un chaos de plus en plus viscéral. Avec Lux Æterna, le réalisateur s’essaye donc à un format encore plus resserré : le moyen-métrage.
Plaçant son action en temps réel, Lux Æterna invite à suivre les dessous du tournage d’un film, comme dans La Nuit Américaine de François Truffaut. D’entrée de jeu, nous sommes introduits aux 2 personnages principaux films, interprétés par Béatrice Dalle et Charlotte Gainsbourg. Aussi excellentes l’une que l’autre, la première incarne la réalisatrice en charge du film, tandis que la seconde est la star du métrage. Si l’ambiance est initialement à la légèreté et la rigolade, le tout va rapidement s’embraser dans une ambiance incandescente de perte de contrôle propice aux expérimentations de Noé.
Passées quelques discussions joviales, le spectateur va suivre divers personnages (dont nos 2 protagonistes) par le procédé du split-screen. Une technique qui trouve ici une force considérable, multipliant les points de vue donc, mais également vecteur visuel et sensoriel. Il suffira de voir les parallèles utilisés par les 2 images, se superposant et décuplant leur propos ou leur effectivité pour s’en convaincre !
Visuellement pas de doute on reste sur du vrai Gaspar Noé : plans séquences fluides, cadrages impactants, et une lumière travaillée de son fidèle collaborateur Benoît Debie (Les Frères Sisters), qui arrive à donner du poids aux images sans les sur-esthétiser. Le tout est en plus saupoudré d’un beau 35mm, qui sent bon la péloche organique avec son grain caractéristique !
Le bûcher des vanités
De ces promesses de base, Lux Æterna se mue rapidement en critique acerbe et ludique d’un milieu empli de rapaces opportunistes. Producteur se voyant perdre le contrôle de son investissement, chef opérateur désireux de s’affranchir, maquilleurs au bord du rouleau, acteurs qui perdent pied, équipe technique en roue libre…Gaspar Noé filme ni plus ni moins que le cauchemar de tout cinéaste ! Il parvient dès les premières secondes (jusqu’au dernier plan) à créer une passerelle thématique entre les sorcières mises au bûcher (sujet du tournage) et la place des femmes dans le milieu cinématographique. À savoir un domaine très masculiniste, encore aujourd’hui. Pour se faire, le réal est évidemment aidé par un casting encore une fois impeccable.
Béatrice Dalle bouffe littéralement l’écran de son aura incandescente, véritable avatar d’un Gaspar Noé désireux d’être capitaine à bord d’un navire ayant pour seule direction l’ambition artistique. Charlotte Gainsbourg amène quand à elle son charme délicat, en actrice dépassée par des demandes impromptues, et finalement grande victime du foutoir global. Si le reste de la distribution est peu mis en avance, quelques seconds couteaux comme Karl Glusman (Devs), Abbey Lee (Lovecraft Country) ou bien Félix Maritaud (120 battements par minute) ont le temps d’exister le temps d’une ou deux séquences.
Lux Æterna démarre donc avec un embrasement ambiant à combustion lente mais certaine, transformant le plateau en grande poudrière pour ainsi mettre ses individus dos au mur. Tirant ouvertement sur une industrie encore gangrénée par des volontés multiples de contrôle, le film opère un virage à mi-parcours. L’intrigue abandonne le flinguage jubilatoire pour rentrer dans une expérimentation sensorielle (attendue) aux velléités stroboscopiques et chaotiques. Un procédé jumelé à Climax donc, bien que moins jusqu’au-boutiste ou virtuose cependant !
I’m in love with the strobo
Lors de son segment final, le film a des allures de « manuel appliqué du modèle Gaspar Noé ». Ambiance plus étouffante, personnages qui partent en vrille, lumières agressives à déconseiller aux épileptiques… tout aficionado du réalisateur sera en terrain connu. Si sur le papier le tout est donc attendu, et pas aussi marquant que pour le reste de sa filmo, le résultat est bien effectif. S’attaquant avant tout aux tripes, Lux Æterna justifie complètement son titre, issu d’un célèbre morceau présent dans 2001 – L’Odyssée de l’Espace pour la célèbre séquence de la Porte des Étoiles. Un trip halluciné et malaisant, complètement raccord avec la démarche, et dont on ne ressort pas indemne.
Si les expérimentations du bonhomme ne vous font pas peur, Lux Æterna reste une vraie bonne pioche à découvrir en salle. Sa durée de 52 minutes permet d’aller à l’essentiel et de resserrer considérablement son récit. Le revers est que 20-30 minutes de plus auraient permis d’aller encore plus loin tant narrativement que visuellement. On a un peu le sentiment que le film se finit au moment où il rentre dans le vif du sujet. Pas de quoi se priver néanmoins, Lux Æterna est une vraie plongée immersive dans le chaos. Carrée, soignée, tenue de bout en bout, cette descente méta aux Enfers est une nouvelle belle pierre acidulée à l’édifice de Noé.