Kessel, la liberté à tout prix, nous raconte l’existence incroyable de Joseph Kessel, écrivain, grand reporter et aventurier du XXème siècle.
Joseph Kessel est un personnage fascinant et inspirant. Explorateur du monde aussi bien que de la nature humaine, sa soif de vivre et son goût de l’aventure ont rendu sa vie extraordinaire.
Né en argentine dans une famille juive, il grandit en Russie avant de rejoindre Paris où il terminera ses études. Et c’est en tant que romancier, grand reporter, aventurier, résistant et académicien français – rien de moins ! – qu’il se fera ensuite connaître. Dans ce seul en scène, Franck Desmedt donne vie avec le talent qu’on lui connaît à celle de ce personnage au destin hors du commun qui a marqué son époque.
Une soif d’aventure extraordinaire
Il est passionnant de se plonger dans une existence aussi riche et mouvementée. Une existence qui commence en Russie, puis qui se poursuit en France où le jeune Joseph poursuit ses études et découvre la vie nocturne, l’alcool, les filles, la débauche… avant de s’engager en 1916 dans l’aviation. Il raconte ses missions, nous emmène dans l’étroite carlingue où nous goûtons à ses côtés à « la quête aux nouvelles, la chasse aux images, aux émotions. » À l’anxiété, aussi, qui accompagne cette chasse au trésor.
« Il y a deux choses qu’on n’arrête jamais : un homme assoiffé de liberté, et un Russe assoiffé… Je suis les deux. »
Il raconte l’exaltation que lui procure l’atmosphère étrange de la guerre qui transforme les instants en sursis. Ce mélange de plaisir et de peur d’où jaillit le sentiment intense d’être libre et heureux. Un appétit de vivre contagieux, le Monde comme terrain de jeu et source de découvertes intarissable. On l’écoute, et c’est à se demander comment il est seulement possible de vivre autrement…
La fin des illusions heureuses
Puis vient le temps de l’après-guerre. Le retour à une vie qui a perdu son insouciance, sa lumière. « Une liberté sans joie » décrit-il. Les siens qu’il retrouve… puis qu’il perd tandis que son frère, qui triomphait au théâtre, met fin à ses jours… Un chagrin immense dont il ne guérira jamais. L’écriture alors, pour fuir, pour exorciser, pour survivre. Le besoin d’aventure plus fort que jamais peut-être, l’exaltation du danger, de la vie qui brûle, l’amèneront à devenir grand reporter.
Arrive alors son premier reportage dans une Irlande alors en lutte pour son indépendance. D’autres suivront, toujours plus riches et incroyables. Comme celui sur l’esclavage en Éthiopie, en 1930, et cette rencontre bouleversante avec les histoires tragiques de ces esclaves s’abandonnant à l’instant présent, seul espace de vie possible. Ou encore sa découverte dépaysante de l’Afghanistan et de sa « poignante beauté », qui donner lieu à l’un de ses romans, Les cavaliers. Puis, à l’heure de la Seconde Guerre mondiale, d’abord correspondant de guerre il s’engagera ensuite dans la Résistance. En 1943, après une conversation avec De Gaulle, il écrira à quatre mains avec son neveu Maurice Druon le célèbre Chant des partisans, véritable hymne de résistance.
Autant d’aventures qui le mèneront jusqu’à L’Académie française, son dernier voyage, consécration d’une éblouissante carrière littéraire à travers laquelle il ne se lassera pas de raconter le Monde. L’homme que deux guerres et des drames familiaux auraient pu briser continuera pourtant sans relâche de célébrer la vie, de s’en émerveiller, de l’explorer encore et encore. Quel meilleur moyen, au fond, de ne pas se laisser ensevelir par tout ce qu’elle peut avoir de plus sombre ?…
Un Kessel aussi vrai que nature
Évidemment, dans le rôle de cet homme passionné par la vie, aussi bien par ses charmes que ses aspérités, Franck Desmedt est tout simplement formidable. Et il nous faut redire cette fascinante capacité du comédien à donner vie à un texte, à faire exister des décors, des personnages, à manier avec subtilité les variations de rythme et d’intensité. Un talent de conteur que nous lui avions découvert dans La promesse de l’aube, de Romain Gary, et dont on se régale à chaque fois.
En effet, son interprétation mélodieuse et vibrante, pleine de fougue et de sensibilité, nous captive. Probablement d’ailleurs qu’il pourrait nous parler de n’importe quoi que nous l’écouterions avec la même attention ! Même ses silences nous hypnotisent… Et nous lui avons découvert ici un autre talent : celui d’imitateur ! Difficile en effet de ne pas rire lorsqu’il se glisse quelques instants dans la peau d’un Francis Huster très ressemblant !
Une superbe ode à la vie
Alors, bien évidemment, c’est aussi à la plume et à la mise en scène de Mathieu Ranou que l’on doit ce résultat. En effet, le texte est dynamique, plein d’esprit et de traits d’humour qui rendent le propos intensément vivant. L’auteur a su traduire à merveille la passion de Kessel pour la vie et le Monde qui ne faisait que grandir à mesure qu’il l’explorait, le découvrait. Et cette nécessité de vivre le plus intensément possible imprègne chaque minute de ce spectacle.
« Rideau après rideau la Terre m’a ouvert son théâtre. »
Sa mise en scène est tout autant à la hauteur. Sobre, élégante, elle accompagne avec justesse le jeu de Frank Desmedt et l’intensité du propos. Et si nous voyageons tout au long de la pièce, c’est aussi grâce aux musiques de… Mathieu Ranou, toujours, qui signe décidément une bien belle création ! Ainsi, on se laisse transporter par des sonorités russes, irlandaises, par des chants africains, ou encore des musiques sacrées, tandis que sur le grand drap blanc qui compose un décor aussi minimaliste qu’efficace, les jeux de lumières de Laurent Béal finissent de peindre les atmosphères qui se succèdent.
Kessel, la liberté à tout prix nous donne une furieuse envie de vivre ! Et ce n’est pas tant d’un spectacle que d’un formidable voyage que l’on a l’impression de revenir.
Kessel, la liberté à tout prix, écriture et mise en scène Mathieu Ranou, avec Franck Desmedt, se joue jusqu’au 07 janvier 2024, du mardi au samedi à 18h30 & les dimanches à 15h, au Théâtre du Lucernaire.
[UPDATE 2024] Se joue à partir du 12 janvier au Théâtre Rive Gauche.
Avis
Il serait bien impossible de résumer une vie si foisonnante en une heure de spectacle. Et ce n'est d'ailleurs pas de cela dont il s'agit mais plutôt d'un hommage. D'une volonté de transmettre le souffle vital hors du commun de cet homme qui donne envie de plonger dans la vie tête la première.