Alors que le 7 août 2023 fut marqué par la triste disparition du grand William Friedkin, nous avons voulu rendre un dernier hommage à cet illustre cinéaste du Nouvel Hollywood. Fervent défenseur d’un cinéma audacieux sondant la noirceur de l’âme humaine, voici ni plus ni moins que ces 5 plus grands films :
1. Sorcerer
Ce que William Friedkin décrivait comme son film le plus abouti et sans conteste le plus grand tour de force filmique de sa carrière ! Après une série de gros succès commerciaux et critiques, Sorcerer – le Convoir de la Peur a malheureusement représenté le premier gros échec public de William Friedkin, ainsi qu’un des tournages les plus éprouvants de l’Histoire du cinéma. Conçu comme un remake du Salaire de la Peur d’Henri-Georges Clouzot (autre masterpiece fondamental), Sorcerer tient sur un postulat simple : 4 individus brisés et ayant tout perdu sont prisonniers de la pauvreté dans un village colombien.
Désireux de fuir leur condition, ces 4 protagonistes de nationalité différente vont accepter une mission hautement périlleuse en échange d’une importante somme d’argent (et donc d’une nouvelle vie) : conduire 2 camions chargés de nitroglycérine à travers 340 km de jungle et de désert pour éteindre un puits de pétrole s’étant embrasé. Chaque obstacle sur la route devenant donc un pas de de plus vers la mort.
Arriver à se démarquer du film de Clouzot était déjà une tâche complexe, mais Friedkin parvient à l’exploit de dépasser les attentes en livrant un objet cinématographique unique. Autant film d’aventure ultime sous tension qu’exploration métaphysique de psychés sur le fil de la vie, Sorcerer atteint également la légende de par son tournage maudit à la Apocalypse Now (conditions terribles dans la jungle avec usage de lumière naturelle), une BO culte signée Tangerine Dream et une formidable séquence sur un pont suspendu (conçu par John Box, le responsable des décors de Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago). Le film de tension ultime, sorti en 2015 dans une version restaurée indispensable. Un chef-d’œuvre absolu donc !
2. L’Exorciste
Probablement le film le plus connu de William Friedkin, tant L’Exorciste aura durablement marqué l’Histoire du cinéma. Film d’horreur ayant eu le plus gros succès (plus de 2 milliards de recettes en tenant compte de l’inflation), L’Exorciste est toujours un demi-siècle plus tard la Pierre de Rosette du film de possession. Le prêtre, l’usage du crucifix, la fillette possédée qui vocifère et vomit sur son entourage (quitte à marcher la tête à l’envers), le thème musical..chaque élément du métrage aux 2 Oscars parait galvaudé aujourd’hui.
Pourtant, dans cette histoire du démon Pazuzu ayant pris refuge dans le corps d’une fille unique trouve toujours une résonance particulière dans le paysage cinématographique horrifique contemporain, interdisant toute forme de terreur ou d’absence de cynisme. Car si L’Exorciste fut parodié et détourné à toutes les sauces (souvent à visée humoristique), le grand film de Friedkin puise toujours son génie dans sa mise en scène poisseuse et son ambiance mortifère.
Une manière de créer un certain malaise plutôt qu’une franche terreur frontale, faisant resurgir un mal insondable capable de s’attaquer à n’importe quelle proie, dans n’importe quel lieu. Au final, personne ne ressort complètement indemne de L’Exorciste : avant tout ses personnages, mais également le spectateur. Après cela, on ne peut plus voir un film d’exorcisme autre que celui-ci !
3. Police Fédérale, Los Angeles (To Live and Die in L.A.)
Véritable polar ultime des 80’s, To Live and Die in LA conte l’histoire de deux agents des services secrets américains désireux de coincer le plus gros faux-monnayeur de la Californie. Pour se faire, le duo de super-flics va rapidement flirter avec les limites de la légalité. Un pitch qui semble tout droit sorti de bon nombre de polars des 40 dernières années, mais To Live and Die in LA représente sans aucun doute un des plus grands jalons du genre, autant qu’un véritable testament de ce qu’étaient les 80’s au cinéma.
Lumières néons, bande-son synthétique de Wang Chun, lunettes de soleil, plans au soleil couchant…William Friedkin et Michael Mann se tiraient bien la bourre à l’époque en terme de polars stylisés, tandis que To Live and Die in LA installe instantanément la figure d’un Los Angeles branché. Une esthétique que l’on doit à la formidable photographie de Robby Müller (Paris Texas), tandis que le rythme effréné du métrage empilait déjà une galerie d’acteurs voués à un bel avenir (William Petersen, Willem Dafoe, John Turturro..).
Outre la redoutable intelligence de son scénario (dont un « twist » désormais célèbre), on retiendra aussi de To Live and Die in LA une séquence de fabrication de faux billets dont le souci du détail relève quasiment du documentaire…et une inoubliable séquence de course-poursuite à travers les terrains vagues de la Cité des Anges, ou son périphérique en contre-sens. Bref, le plus grand film policier des années 80 tout simplement.
4. French Connection
Qui dit plus grand polar des années 80 dit forcément plus grand polar des années 70 : encore un titre que l’on doit à William Friedkin avec le fondamental French Connection ! Giga succès avec 5 Oscars (dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur acteur pour Gene Hackman), c’est véritablement le film qui a installé le nom du réalisateur dans la légende ! En s’appropriant l’histoire vraie de policiers New Yorkais en pleine lutte face au trafic de stupéfiants organisé par la mafia, Friedkin parvenait à filmer la Grosse Pomme dans les recoins moins mis en avant dans l’imaginaire collectif (à savoir Brooklyn ou les tours du World Trade Center), et à dépeindre des figures connues du genre sans réel manichéisme.
Si French Connection est sans conteste le gold standard du film policier moderne, William Friedkin proposait déjà un impressionnant tour de force technique et cinégénique dès 1971 : une incroyable séquence de course-poursuite en voiture sous le métro aérien. Caméra embarquée et montage au cordeau en font encore aujourd’hui une des plus belles représentantes du genre avec Bullit, The Blues Brothers, Driver..et To Live and Die in LA ! Cultissime, et John Frankenheimer (Ronin), en a même réalisé une très bonne suite directe !
5. Killer Joe
Dernier film en date de William Friedkin, Killer Joe est déjà sorti il y a une bonne dizaine d’années. Loin de la renommée des 4 films sus-cités, il s’agit pourtant d’un des plus illustres films du cinéaste dans la manière de convoquer la figure du mal. Pourtant, Killer Joe débute dans un contexte qui a tout de la comédie : une famille sans le sou décide d’engager un policier également tueur à gages à ses heures perdues. Le but, liquider leur mère et ainsi toucher une assurance-vie de 50 000 dollars.
Bien évidemment, tout cela ne va pas se dérouler comme prévu, et ce qui s’apparentait à un conte comique va rapidement tourner au cauchemar, porté par un script vénéneux allant toujours plus loin dans la violence, une ambiance Southern gothic délectable et une performance hallucinée de Matthew McConaughey (peut-être son rôle le plus borderline au cinéma). Ceux qui ont vu Killer Joe le savent : on ne regarde plus jamais du poulet frit de la même manière après visionnage !
Bien entendu, la carrière de Friedkin ne s’arrête pas là ! Une filmographie riche en succès (mais aussi quelques échecs ou films mineurs), tels que le frappadingue Bug, l’avant-gardiste Les Garçons de la bande, l’érotique Jade, le sous-estimé remake de 12 Hommes en colère, le prenant Traqué, et bien sûr l’hardboiled Cruising ! Un grand cinéaste comme on en fait plus aujourd’hui, dont il nous reste encore à découvrir son ultime long-métrage : The Caine Mutiny Court-Martial, film de procès présenté en septembre à la Mostra de Venise !