Zébrures nous emmène loin des clichés et idées reçues pour mieux comprendre la réalité des HPI, surdoués, et autres zèbres.
Zébrures aborde un thème très actuel : celui des HPI… Un thème très à la mode aussi. Ce qui implique que l’on entend beaucoup de choses plus ou moins justes et précises sur le sujet, sans forcément toujours bien comprendre de quoi on parle.
Popularisé par la série française HPI dans laquelle Audrey Fleurot incarne une HPI qui va mettre son intelligence hors-norme au service de la police, le terme de Haut Potentiel Intellectuel regroupe en réalité de nombreuses caractéristiques, et peut se manifester de bien des manières. Cette pièce, très riche et documentée, propose de mettre un peu d’ordre dans tout ça et nous aide à y voir plus clair sur une spécificité qui touche 2,3% de la population.
Être différent au milieu des autres
Zébrures croise les destins de différents personnages pour nous permettre de mieux saisir ce que vivent de l’intérieur celles et ceux que l’on qualifie de HPI, surdoués, précoces… Des termes dans lesquels ils et elles ont d’ailleurs parfois du mal à se retrouver ; des étiquettes qui pèsent lourd en représentations et idées reçues et qui, de fait, tendent à les stigmatiser aux yeux des autres et générer des sentiments d’animosité et de jalousie. « Tu es surdoué alors tu te crois plus intelligent que tout le monde, c’est ça ? »…
Et s’ils tentent de se fondre du mieux qu’ils le peuvent dans la société et ses codes, c’est souvent au prix d’une réalité faite d’errances, de doutes, et parfois d’un profond mal-être lié au sentiment de ne pas être à leur place. D’autant que derrière ce terme de HPI, ce sont de nombreuses et différentes réalités qui se dessinent. C’est d’ailleurs ce qui a amené la psychologue Jeanne Siaud-Facchin a proposer le terme de Zèbres, en référence à l’apparente similarité entre les différents individus de sa population, mais à la robe pourtant unique de chacun d’eux.
Des profils variés
Ainsi, pendant 1h20, une jeune fille, une mère, un mari, des enfants vont tour à tour se questionner sur ce qu’ils vivent, sur ce qu’ils sont, se révéler, s’adapter. Il y a Lætitia, qui ne cesse de se reconvertir professionnellement et essaye de comprendre le mal-être qui la ronge alors que tout va bien dans sa vie ; Morgane, une ado prisonnière de la colère dans laquelle ses tourments la plongent ; Charlotte, qui soutient et protège du mieux qu’elle peut sa fille, Emma, HPI et dyslexique ; et Romain, qui se tient tant bien que mal en équilibre grâce à la présence et à l’indulgence de sa femme.
« Il faudrait peut-être juste les écouter, même s’ils n’aiment pas trop en parler. »
Face à eux, un psy peu loquace qui cherche obstinément l’explication du côté de la famille ; des médecins qui se bornent à tenter de les faire entrer dans des cases ; des proches qui ont toutes les difficultés du monde à comprendre ces funambules de l’existence ; ou encore un professeur d’école qui est désolé mais il ne peut pas faire du cas par cas pour s’adapter à ceux qui n’entrent pas dans le moule…
Lara Bakar, Thibault Gueye & Nastassia Silve donnent vie à ces personnages avec un mélange de tendresse, de sensibilité et d’humour qui dédramatise le sujet. Le jeu est parfois un peu fragile et tient l’émotion à distance, mais on reste avant tout accroché au texte dense et habilement construit d’Anne-Sophie Nédélec qui éveille les consciences.
Zébrures, une pièce qui sensibilise
A travers ces différents profils et nourri de la propre expérience de l’autrice, Zébrures parvient à rassembler les nombreux aspect caractéristiques des HPI, en évoquant également les TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), l’hypersensibilité, ou encore la dyslexie qui peuvent également s’y mêler. Ainsi, celles et ceux qui s’interrogent quant à leur fonctionnement ou celui de leurs proches pourront trouver des pistes de réponses, des éléments de compréhension.
La colère, l’incapacité à prendre des décisions, la difficulté à être dans le présent, une mauvaise estime de soi, le besoin de contrôle, une sensibilité exacerbée, l’hyperesthésie ; mais aussi un fonctionnement beaucoup plus émotionnel que fonctionnel, une pensée en arborescence qui génère une créativité décuplée ; ou encore la tendance à avoir recours aux addictions qui canalisent l’angoisse et les pensées qui envahissent, qui partent dans tous les sens, qui épuisent… Autant de caractéristiques parmi lesquelles se dessinent différents profils de HPI, loin du portrait-robot unique souvent imaginé.
Et s’il ne s’agissait pas seulement d’un combat à mener ?
La mise en scène d’Anne-Sophie Nédélec fait alternativement entrer et sortir ces différents personnages de l’espace scénique délimité par des cordes d’un ring. Et si ces va-et-viens et cet entrelacement des témoignages donnent une bonne dynamique à la pièce et rappellent l’intensité du rythme des pensées des personnalités HPI, l’idée d’aborder ce thème sous l’angle un peu fataliste du combat à mener nous a semblé manquer d’un peu de subtilité.
D’autant que, si certaines des caractéristiques évoquées constituent essentiellement un poids dans le quotidien, d’autres peuvent aussi être apprivoisées et se transformer en atouts dans certains contextes, domaines professionnels, au sein des relations également. Un angle d’approche que nous aurions aimé voir davantage abordé pour que le diagnostic d’HPI, TDHA ou Hypersensibilité sonne un peu moins comme une condamnation à première vue. N’est-il pas question de « potentiel » après tout ?
En effet, l’idée que l’on se fait de ce que nous vivons et la manière dont nous nous stigmatisons souvent nous-mêmes est parfois plus éprouvante que ce que nous vivons à proprement parler. Et si ce n’était pas si grave d’avoir besoin de tout contrôler ? Et si ce n’était pas seulement une fragilité, un poids que d’être hypersensible ? Et si nous commencions par admettre que la différence n’est pas un problème et qu’être considéré comme « inadapté » à la société parle peut-être davantage de cette société que de nous ?
Zébrures est une pièce utile, nécessaire, qui fait réfléchir et nous donne envie de creuser davantage encore un propos soudain devenu clair et accessible.
Zébrures, d’Anne-Sophie Nédélec, mise en scène Alain Sachs, avec Lara Bakar, Thibault Gueye & Nastassia Silve, se joue au Théâtre du Centre, du 7 au 29 juillet, à 11h20 (relâche les mardis).
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Avis
Zébrures est le fruit d’expériences personnelles, de témoignages, d'échanges avec des psychologues et d'un travail de recherches. Ce qui permet à la pièce d'aborder de manière assez complète et précise de la réalité du quotidien de ces hommes et ces femmes aux profils neuroatypiques dans un monde extrêmement normé.