Yannick débarque par surprise, tourné en six jours et porté par l’immense Raphaël Quenard. Dans l’urgence, Quentin Dupieux signe pourtant l’une de ses œuvres les plus passionnantes.
Yannick est (déjà) le douzième film de Quentin Dupieux, et le premier de cette année avant Daaaaaali !, pour le moment prévu au mois de novembre. Et entre ce Yannick et les précédents projets du réalisateur, le ton et la forme paraissent très éloignés et il faudrait ainsi remonter jusqu’au faux huis-clos d’Au Poste ! et son influence au Buffet froid de Bertrand Blier pour y trouver quelques similitudes. Parce que le film, toujours resserré sur un peu plus d’une heure (et sept minutes, précisément), avec la fidèle Johan Le Boru à la direction artistique et Quentin Dupieux au scénario, à la lumière et au montage diffère par sa sécheresse et son volet social beaucoup plus prégnant. Exit les costumes colorés et les farces désenchantées sur notre triste époque : ce Yannick incarne à lui-seul un public oublié sommé de se taire, et dont la prise de paroles en mode Gilet Jaune glace autant qu’elle touche.
Film surprise, tourné en six jours dans une certaine urgence, la présence, entre autre, de Pio Marmaï fait ainsi penser au récent La Fracture de Catherine Corsini qui tentait, entre les murs d’un hôpital public sinistré de toutes parts, de filmer le dialogue impossible entre deux classes que tout oppose. Parce que Raphaël Quenard, acteur fascinant en pleine ascension, dessine depuis trois films où il campe enfin le premier rôle, avec sa sympathique bonhommie et son franc-parler des portraits d’oubliés tentant de reprendre le pouvoir où d’enfin s’affirmer. Chien de la casse, Cash et Yannick, bien que diamétralement opposés sur la forme, rejoignent sur le fond cette volonté de mise en lumière et en paroles de déclassés, de perdus et de paumés, qui à l’occasion d’un coup du destin, pourront enfin reprendre la parole et la place qu’ils méritent.
Révolte culturelle
Yannick, gardien de nuit au quotidien morose, se rend un soir au théâtre à la représentation du Cocu, pièce médiocre porté par trois acteurs qui le sont tout autant. Agacé par ce calamiteux moment alors qu’il était venu y chercher du réconfort, Yannick prendra la parole pour exprimer haut et fort son mécontentement. Et déjà, la patte des dialogues de Dupieux, malgré une forme plus austère, résonne avec brio : porté par un Raphaël Quenard monstrueux, qui trouve ici le grand rôle qu’il méritait, la science infuse des bons mots délivrés au mot près par une pléiade d’acteurs prestigieux (Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne et Agnès Hurstel) s’avère une fois de plus aussi précise que réjouissante, assumant presque ici de front le lien de parenté que l’on attache au cinéaste avec l’œuvre de Bertrand Blier, déjà cité plus haut.
La facilité du dispositif ne laisse ainsi aucune place à l’esbrouffe, et si la précision des mots résonne, tout de l’incarnation à la mise en image rejoint cet adjectif. Au fur et à mesure que le dialogue avance, se perd, l’on passe ainsi, comme ce prodigieux Yannick, de la tension, prégnante, au rire, puis aux larmes. Parce qu’à l’opposé de ce trio de piteux acteurs et de ce public endormi, le personnage de Quentin Dupieux se fait le réceptacle de bien des colères tues, d’un public à qui l’on demande de sagement rester assis à sa place sans émettre aucun autre son que celui d’applaudissements automatiques. Yannick, c’est le spectateur qui ose enfin prendre la parole pour dévoiler aux yeux du monde les liens de plus en plus étroits entre la culture et le monde réel, de cette incompréhension et de ce fossé qui se crée alors qu’ils devraient être complémentaires.
Dupieux à l’os
Il y ainsi, comme dans Le Daim, une sécheresse bienvenue qui renouvelle la formule bien huilée de Quentin Dupieux. Exercice nécessaire et salvateur que le huis-clos pour démontrer que le talent et l’envie son toujours présents, Yannick se contente du strict minimum mais avec un tempo maîtrisé et des ruptures de tons constantes faisant passer avec brio du rire à l’effroi. Parce qu’après la conclusion d’Incroyable mais vrai, le douzième film du cinéaste est aussi et sûrement son plus émouvant, lorsqu’il délaisse la fantaisie pour croquer des héros bien réels dans un décor identifié, lieu de plaisir, de réflexion et de détente, qui se trouve ici transfiguré en étouffante cellule, où le temps semble, durant une heure au moins, s’être complètement arrêté. Exit donc les films à sketchs, les tenues hautes en couleurs et autres synopsis farfelus, Dupieux se dévoile ici à l’os.
Yannick agit ainsi, presque, comme une thérapie de groupe pour son cinéaste, comme pour sa troupe d’acteurs jusqu’à ses spectateurs. Celle d’une remise en question générale de l’intérêt d’une œuvre, d’un dispositif et du statut des artistes face à une société de plus en plus déchirée, socialement et thématiquement. Mais, Yannick fait aussi du bien et émeut, vraiment intensément, face à ce personnage entier, plus complexe qu’il n’y paraît et dont le raisonnement tout à fait logique heurte autant qu’il interroge. D’un exercice de style qui aurait pu paraître aussi sec que son dispositif, le douzième long-métrage de Quentin Dupieux réussit donc une fois de plus à étonner, surprendre et surtout toucher. Assisterions-donc nous à un virage stylistique et thématique du cinéaste ?
Yannick est actuellement au cinéma.
Avis
Avec Yannick, Quentin Dupieux revient à l'essentiel et démontre la science précise de son cinéma et de ses dialogues affûtés. Porté par un Raphaël Quenard monstrueux, le cinéaste parvient, après moults fantaisies et au bout de son douzième long-métrage, à se réinventer, à surprendre, et surtout à toucher là où on ne l'attendait pas, dans un volet social et contemporain aussi révolté qu'attachant.