Tapie voit Tristan Séguéla s’emparer de l’une de ses icônes d’enfance, et allier avec efficacité sa vision enamourée avec celle, plus décortiquée, du scénariste Olivier Demangel, pour croquer, bien au-delà de celui de son foisonnant personnage, le portrait de tout un pays.
Tapie, dès l’annonce de sa volonté de relater en série la destinée contrariée du jadis homme d’affaires préféré des français, avait su attiser une certaine curiosité. Décédé il y a près de deux années, l’homme laissait en effet derrière lui peu de mystères mais beaucoup de souvenirs et d’affaires judicaires, d’une success-story pur produit des années 80 qui s’est peu à peu muée en descente aux enfers, d’un homme public adulé, passé des honneurs aux déshonneurs d’une vie muée en véritable show télévisé, traduisant à merveille les bouleversements d’un pays tout entier. Parce que si l’homme a su entrer dans le cœur de beaucoup de foyers français, c’est aussi en s’illustrant comme une figure traduisant à elle-seule une part d’histoire que certains qualifieront, à juste titre, de peu glorieuse de notre cher pays en touchant à peu près à tout ce qui fait encore aujourd’hui partie de son identité.
Ainsi, voir Tristan Séguéla, dont le père fut un très proche compagnon de route de Bernard Tapie, s’emparer d’un tel projet, avait de quoi faire craindre le pire. Metteur en scène de comédies volontiers dispensables (et le mot est faible), ayant délivré des projets tels que 16 ans ou presque, Rattrapage, Docteur? et le récent Un homme heureux (que nous avions d’ailleurs plutôt apprécié malgré les polémiques justifiées), c’est ici ses collaborations avec le scénariste Olivier Demangel, en plus de l’acteur Laurent Lafitte, qui avaient su quelque peu rassurer. Parce que le talent du scénariste (Baron Noir, Novembre, Tirailleurs), et de l’acteur, combinés à la connaissance du sujet du réalisateur, avaient de quoi tailler un portrait plus épais, plus incarné, que ce qui n’aurait pu être qu’une hagiographie tapageuse. Et Tapie se trouve justement être un peu tout ça à la fois.
O.K. Bernard
Tapie propose donc de revenir sur la vie de l’homme, en sept épisodes dont les titres se voient tous empruntés à des tubes de l’époque. Débutant efficacement, porté par la prestation véritablement habitée de Laurent Lafitte qui s’empare à merveille, et avec très peu d’artifices, de toute la bonhommie du personnage,(comme de la formidable Joséphine Japy, incarnant son épouse) la success-story enamourée de Tristan Séguéla se voit ainsi véritablement menée vers le haut par le scénario fouillé d’Olivier Demangel, qui en partant de moments marquants de la vie de l’homme public, illustre à merveille les bouleversements de tout un pays voguant à grands pas vers un capitalisme forcené et carnassier. On trouve ainsi dans ce condensé à la fois drôle, efficace et addictif, et au travers de l’incarnation d’un homme, toute l’histoire d’un pays. De la fascination pour la télévision, et des populaires émissions de variété, Séguéla et Demangel, au-delà de signer une biographie efficace, s’emparent à merveille d’un mythe définitivement bien français.
Hyper ambitieuse sur tous les sujets qu’elle s’entend aborder, (musique, business, politique et famille) d’une vie riche et émaillée d’autant de succès que de défaites, on regrettera ainsi, et forcément, que sur sept épisodes beaucoup de segments se voient injustement sacrifiés, (tels le passage, même de courte durée, à Matignon) semblant un temps y préférer une vision volontiers plus romancée, et cruellement attachante il faut l’avouer, du personnage. Malgré cette destinée plus que fournie, et toujours très intelligemment et clairement adaptée, deux épisodes tirent cependant leur épingle du jeu, enfermant Bernard Tapie à huis-clos, que ce soit dans le Zénith de Paris où dans le bureau d’un procureur, où livré à lui-même, la vision du personnages des deux auteurs s’avèrent enfin y déceler de passionnantes parts d’ombres et les véritables contradictions de l’homme et de tout un pays.
K.O. Tapie
Ainsi, sur la forme, le scénario d’Olivier Demangel et la mise en scène de Tristan Séguéla n’inventent rien de neuf, se contentant, très honnêtement il faut le souligner, à la manière d’un Martin Scorsese local (tel le récent et réussi Cash), de signer une variation 100% française du Loup de Wall Street. De ce condensé efficace et sans bavures, on trouve cependant dans la dernière partie de la série un tableau sombre beaucoup plus convaincant, sûrement dû au talent d’Olivier Demangel pour s’emparer de l’étouffant engrenage judiciaire, où l’homme public se voit confronté à ses contradictions, à savoir celle d’un jeune homme ambitieux devenu un monstre de cupidité comme un autre. Le face à face avec un procureur s’annonce ainsi comme un dernier acte pesant et passionnant où toute l’efficace machinerie du projet comme du personnage s’estompent peu à peu, à l’image des idéaux d’un pays, pour enfin véritablement toucher le cœur émotionnel de son sujet.
Et ainsi pour Tapie, d’éloigner les pires craintes relatives à un projet mis en scène par un proche convaincu et forcément touché par l’image du personnage qu’il s’entend croquer. Bernard Tapie n’est ici pas croqué comme un héros, ni un mythe, mais comme un personnage imparfait dont les contradictions s’avèrent incarner à merveille celles de tout un pays. D’un système économique carnassier, vendu en nouvel eldorado de liberté et de réussite personnelle, mais ne s’avérant déboucher que sur un violent naufrage, détruisant au passage les espoirs et les rêves d’ouvriers, et de jeunes enfants pour qui le rêve allait ainsi laisser place qu’à une violence désillusion qui ne quittera jamais plus les obsessions d’une actualité toujours aussi tragique. De Bernard au Tapie, il n’y avait donc finalement qu’un pas, que la série illustre ainsi avec une certaine réussite.
Tapie est disponible sur Netflix.
Avis
Tapie est à la fois une vision enamourée, efficace et fouillée d'un personnage grandeur nature. Ne tombant jamais dans le piège de n'être qu'un larmoyant hommage, mais en sacrifiant tout de même de passionnants sujets, le talent du scénariste Olivier Demangel, ainsi que la partition parfaite de Laurent Lafitte font de la série non pas le portrait d'un mythe mais celui des contradictions de tout un pays.