Suprêmes retrace la naissance du légendaire groupe de rap NTM, ainsi que l’avènement concomitant du mouvement hip-hop à la fin des années 80 en France. Dans ce biopic, la réalisatrice livre un honnête portrait des jeunes Joey Starr et Kool Shen, révélant deux excellents acteurs de la nouvelle génération ! Le tout en mode Seine-Saint-Denis style !
Alors que le mouvement hip-hop explosait aux USA (notamment via NWA, Biggie ou 2pac), la réponse hexagonale n’était pas encore arrivée. Assassins, NTM, IAM…de très grands noms qui auront été le blueprint du rap français et l’étendard du genre musical le plus populaire un quart de siècle plus tard. C’est donc tout à fait logique que le cinéma se penche un peu plus là-dessus (nous avons eu Straight Outta Compton il y a quelques années, ou même la série The Get Down).
Sans surprise donc, Suprêmes est un biopic sur les débuts de NTM : de la naissance du groupe en 88 en Seine St-Denis jusqu’à leur tout premier Zénith en 1992. La réalisatrice Audrey Estrougo (Une Histoire Banale, La Taularde) bossera plusieurs années à élaborer le scénario avec Marcia Romano (L’Évènement), avec l’aval de Joey Starr et Kool Shen ! En résulte une plongée immersive et de belle tenue, 30 ans en arrière !
Dans Suprêmes, nous découvrons donc Bruno Lopes et (surtout) Didier Morville avant qu’ils ne deviennent Kool Shen et JoeyStarr. L’un semble suivre le chemin tout tracé pour devenir menuisier comme son paternel et écrit régulièrement des textes avec génie, l’autre est un graffeur sans domicile fixe qui a fui son père violent et méprisant. Tous deux se connaissent déjà depuis quelques années au moment où le film débute, alors que leur bande de potes break-danceurs s’amusent à taguer une rame de métro dans les bas-fonds parisiens. D’entrée de jeu l’alchimie opère : pas simplement pour le duo principal, mais auprès de toute cette troupe constituant les bases de « 93 NTM » !
En effet, la réalisatrice aura par ailleurs planifier un important travail de pré-production et de préparation sur plus d’une année. Un passage obligé pour immerger chacun des membres du casting dans le bain, et ainsi se mouvoir, parler, penser comme un rappeur plus vrai que nature. Telle une troupe de théâtre, ces liens et relations soudés lors de cette période transpire à chaque instant du métrage, et participe grandement à insuffler une belle énergie communicative, et surtout une authenticité diablement efficace !
Authentik !
Il faut le dire, l’interprétation de Sandor Funtek et Theo Christine force le respect. Le premier impressionne via un look (mulet-style!) et une diction confondants dans le mimétisme. Le second n’a certes pas l’animalité et l’aura du vrai JoeyStarr, mais parvient rapidement à imposer le personnage via une gestuelle, des mimiques et une représentation plus que satisfaisante de son caractère brut de décoffrage. L’alchimie entre les deux (ainsi que leur complémentarité) fait souvent décoller le film, et le porte tout au long des 1h50. Deux belles révélations en terme d’acting donc, entre vrai hommage et ré-appropriation complète !
Il y a cependant un « mais » (voire quelques-uns) dans cette belle entreprise de passionnés : les deux compères (ainsi que le reste du trombinoscope) ont une importance et un traitement variable en terme d’écriture. On constatera d’ailleurs que Suprêmes s’intéresse avant tout aux traumas de JoeyStarr, à travers sa relation conflictuelle avec son père, la recherche de sa mère, son recours aux drogues dures, etc… Il est le vecteur d’enjeux et le recours émotionnel au sein d’une intrigue dont le simple but est de conter étape par étape l’ascension de NTM. De surcroît, son homologue Kool Shen est in fine peu développé en comparaison, et mis en avant pour tempérer la fougue de son acolyte ou driver l’ensemble du groupe.
C’est sans aucun doute le plus gros reproche que l’on pourra faire à Suprêmes, à savoir de ne rien proposer d’autre que l’origin story du groupe (un poil frustrant!). De leur première scène au Globo, la rencontre avec leur manager Sébastien Farran (un Félix Lefebvre qui confirme après Été 85), les galères pour se produire jusqu’aux frictions attendues et la consécration, Suprêmes suit une feuille de route chère à tout biopic musical. Heureusement, ceci est régulièrement contre-balancé par l’aspect véridique (plus ou moins romancé) des faits, son caractère non-édulcoré (coucou Bohemian Rhapsody) et la rigueur globale allouée à la fabrication/narration du film.
Dommage cependant de ne pas avoir profité de cette histoire digne d’être contée pour faire resurgir diverses thématiques peu voire pas traitées : les violences policières, la différence de classes dans la culture urbaine (après tout les deux personnes ayant permis à des jeunes de banlieue de réussir sont deux gosses de riches) et le discours social dans la naissance du rap. Pire : l’origine et le fondement de l’amitié entre les deux protagonistes est aux abonnés absents (ils sont potes, et c’est comme ça!). Certes, le film montre et touche du doigt ces questionnements (par utilisation d’images d’archives par exemple), mais contextualise de manière didactique sans réel liant scénaristique. Une occaz manquée, qui n’entache pas le reste cependant !
La fièvreee !
Produit et validé par NTM (le vrai), Suprêmes jouit bien entendu de l’incorporation des premiers sons du groupe, remasterisés à l’occasion par DJ Cut Killer. Pour les fans, ce sera évidemment un immense plaisir que de voir Le monde de demain, Boogie Man ou encore L’Argent pourrit les gens dans un mixage sonore des plus saisissants. Pour les néophytes, voir les acteurs interpréter tous ces sons en live comme des pros finira d’en faire des convertis. D’aucun aurait aimer plus de folie et de rigueur lors du montage des-dites séquences, mais l’acting, le son et la reconstitution parviennent à convaincre. On retiendra par exemple quelques fulgurances de mise en scène, telles que ce plan-séquence nocturne en plein air, sur le son énervé d’Authentik : un régal !
Au final, Suprêmes avait tout pour se casser la margoulette : il n’en est rien ! On tient là un biopic carré, sans fioritures, respectueux, et par instants même galvanisant, touchant et drôle. Jouissant d’une belle production et d’un rythme adéquat, on regrettera par moments un récit et quelques personnages assez fonctionnels et didactiques. Heureusement, l’énergie et l’authenticité allouées au projet n’ont d’égal que l’amour porté à ce duo mythique ayant façonné le rap francophone. Mais surtout, on retiendra de Suprêmes l’émergence de deux grands talents à suivre de très près ! Seine Saint-Denis style !