Oleanna est un huis clos haletant et sans issue, sur fond de manipulation, entre un professeur d’université et l’une de ses étudiantes.
Dans une université américaine, un jeune professeur reçoit dans son bureau l’une de ses élèves, âgée d’une vingtaine d’années. Dans Oleanna, tout commence de manière assez tranquille. Mais ce n’est qu’un leurre. La colère gronde, le trouble s’installe, et leur face à face va prendre une tournure totalement inattendue. Et l’incompréhension qui s’installe entre eux n’est clairement pas ce qui va leur arriver de plus grave… Nouvelle découverte du festival 7.8.9 du Théâtre de Nesle après L’homme qui vendra le monde, cette pièce – écrite en 1992 – est plus que jamais d’actualité. Et elle ausculte avec beaucoup d’intelligence les relations humaines, leur complexité et leurs excès.
Un dialogue de sourd
Tout oppose les deux personnages de cette excellente pièce de David Mamet, et rien ne parviendra à les rapprocher au cours de ce face à face où la violence va crescendo. Issue d’un milieu défavorisé, l’étudiante remet tout en cause : l’enseignement de son professeur, l’élitisme imposé par l’université, la société et son fonctionnement de manière plus générale. En face d’elle, un professeur davantage préoccupé par le compromis de vente de sa nouvelle maison et sa titularisation en cours. Ils se parlent mais échouent à communiquer dès les premiers instants. Ils ne sont pas à l’écoute l’un de l’autre, restent chacun le regard rivé vers leurs attentes et besoins propres. Kévin Gouabault et Roxanne Davidson sont captivants et incarnent avec puissance ces deux personnages antagonistes. On se demande sans cesse la tournure que va prendre leur relation, tout semble possible tant leurs intentions profondes sont difficiles à cerner.
Une réflexion poussée sur le harcèlement
Cette pièce a du mal à quitter nos pensées. Car elle dérange, elle invite à une réflexion poussée sur un thème délicat, et pose des questions auxquelles les réponses sont loin d’être aussi simples qu’on l’aimerait. En effet, alors que le mouvement #MeToo a permis de rendre la parole aux femmes victimes de harcèlement sexuel, il est intéressant et nécessaire de s’intéresser aussi aux dérives de ce mouvement. Qui de cette étudiante un peu paranoïaque ou de ce professeur paternaliste est dans l’excès ? Où se situe la limite entre le contact humain et le harcèlement ? Lequel des deux manipule l’autre ? Qui est la victime ? À mesure que le rapport dominant/dominé s’inverse – tant dans l’histoire que dans la mise en scène judicieuse de Violette Erhart – l’incompréhension et la manipulation changent de camp. Et alors nos certitudes s’effondrent.
Un parti pris impossible ?
Oleanna est une pièce est brillante en cela qu’elle rend la prise de parti presque impossible. On se dit, inévitablement, que cette jeune fille en colère est une affabulatrice, qu’elle exagère, que tout cela va beaucoup trop loin. Mais alors même que cette pensée se forme et nous séduit, on est obligés de reconnaître que ce qu’elle dénonce est loin d’être absurde, que ce professeur a certainement franchi une frontière invisible. On se demande ce qui aurait pu se passer par la suite si elle n’avait pas tiré cette sonnette d’alarme. Pour autant, les accusations qu’elle profère et leurs conséquences semblent disproportionnées. Et notre raisonnement tourne ainsi en boucle. Preuve que le sujet mérite une vraie réflexion et que cette pièce bouleversante aborde avec talent quelque chose d’essentiel.