rien n’est su est le récit grave et lumineux d’une mère sur la brutalité de la mort et la force de l’amour.
rien n’est su est le premier livre de Sabine Garrigues. C’est aussi le premier livre des éditions Le Tripode dans lequel nous nous plongeons. Deux belles découvertes.
Ça devait être une soirée festive, un concert au Bataclan, le 13 novembre 2015. Suzon, la fille de Sabine, n’en reviendra jamais. Son frère, lui, fera parti des survivants. C’est notamment pour lui qu’il faudra alors que la vie continue, tant bien que mal. Un récit à la fois déchirant et terriblement beau.
Un récit hypnotique
Non, nous n’avons pas oublié la majuscule au titre. Il n’y en a pas. Nulle part. Ni majuscule, ni point, ni virgule. Rien qui ne soit un début ou une fin, rien qui ne soit une respiration. C’est d’ailleurs ce qui frappe et déstabilise un peu quand on commence la lecture de ce livre. Ça et cette mise en page inhabituelle, saccadée, qui complète cette impression d’un souffle ininterrompu.
Très vite, on comprend. Ce n’est pas un roman, ni même un exercice stylistique. L’intention en tout cas n’est pas là. C’est de l’amour, de l’incompréhension, du manque, jetés sur le papier comme ils viennent, sans colère ni passion, avec une délicatesse qui nous touche immédiatement au cœur, qui nous hypnotise. Alors on se met à repousser le sommeil pour lire quelques pages encore, allez, juste quelques-unes… Et soudain le livre est terminé. Il n’y avait aucun point, nous n’avons pas su en mettre non plus. Parce que c’est un texte qui se lit comme il semble avoir été écrit, dans une longue expiration.
Survivre à la mort
C’est un récit intime et bouleversant que nous livre Sabine Garrigues, cette maman à qui les attentats terroristes du Bataclan ont retiré sa fille, Suzon. Ce soir-là, elle avait invité son frère pour ses 17 ans. Entre les temps d’interrogation et l’expression pudique du mal qui la ronge, quelques souvenirs de moments de vie, de joie passés avec sa fille. Sa fille qui est désormais un corps statique à l’institut médico-légal, mais qui ne sera jamais plus que ça. Car si la mort est très présente, la vie n’est jamais bien loin.
« et le grand écart entre les vivants et les morts
va être une gymnastique de chaque instant »
On devine et on sent bien, en lisant la prose de Sabine Garrigues, que le chemin est long, infiniment douloureux, pavé de moments de lutte pour tenter de survivre, d’autres d’abandon face à une douleur que rien ne soulage durablement et qui menace en permanence. Elle raconte ces remparts dressés entre elle et le réel, un réel impossible à regarder en face, à fuir à tout prix ; ces tentatives d’autre chose qui ne mènent à rien.
« parfois l’anesthésie se lève
ça fait mal »
Jusqu’au jour où, six ans plus tard, elle est rattrapée par le besoin de comprendre. Comprendre qui étaient ces hommes avant de devenir des terroristes. Comprendre son histoire familiale soudain venue résonner, ses racines algériennes, l’Histoire aussi, la grande. Et surtout, comprendre que la mort n’est pas là que pour détruire… Vient alors le temps de la vie. La vie qui n’est jamais partie, qui attendait son tour et qui finit par transpercer la mort pour refaire surface, si on l’accepte, si on cesse de lutter. Sabine Garrigues esquisse alors le début d’un autre récit où la vie puise dans l’énergie de la mort pour faire jaillir la beauté à nouveau. Les couleurs du monde doucement reviennent, se faufilent au milieu de tout ce qui n’appartiendra jamais à l’oubli.
Nuit de guerre à Paris
Ce qui est dit est poignant, ce qui ne l’est pas nous bouleverse. C’est d’autant plus déchirant que le contexte du drame nous est forcément familier, qu’il nous a touchés plus ou moins directement et fait partie de notre histoire collective. Les images, les témoignages, les inquiétudes, la peur sont venus hanter, au moins un temps, notre quotidien. Le drame de cette mère devient alors presque palpable, il nous replonge dans une réalité qui a laissé son empreinte en chacun.e de nous.
« un feu d’artifice comme un 14 juillet
mais un 13 novembre
on dirait des mitraillettes !
la phrase déclenche un éclat de rire général
on ferme la fenêtre
dehors ne nous concerne pas
retour sur mes petits si beaux
je viens de les avoir au téléphone
ils sont ensemble à un concert
ils prennent un verre
en attendant que la fête commence »
Pour autant, il y a de la poésie qui se dégage de la plume de Sabine Garrigues et c’est là toute la force de cette prose. Comme une lueur dans le chaos, un fil qui nous raccroche sans cesse à la vie, tandis que le gouffre de la mort s’étend sous les pieds. « de sa tragique mort Suzon m’a expulsée à vivre » exprime-t-elle. Un témoignage puissant, courageux et inspirant de résilience. Une lecture que l’on n’oublie pas.
rien n’est su, de Sabine Guarrigues, est paru le 14 septembre 2023 aux Éditions Le Tripode.
Avis
Ce texte de Sabine Garrigues, écrit au fil des années qui ont suivi le drame, a d'abord donné lieu à une pièce radiophonique lue par Audrey Bonnet pour France Culture et intitulée : Nuit de guerre à Paris. Il est aujourd'hui ce livre bouleversant.