Cela faisait près de 15 ans que le projet est en gestation, mais le Pinocchio de Guillermo Del Toro (Le Labyrinthe de Pan) débarque enfin sur Netflix. Une nouvelle version de toute beauté réalisée en stop-motion, qui s’inscrit instantanément comme le film d’animation de l’année.
Pinocchio est désormais tellement ancré dans l’imaginaire collectif, qu’adapter de nouveau le conte de Collodi peut paraître désuet. Pourtant, cette histoire intemporelle a eu maintes itérations, avec même des films par Steven Spielberg (adaptation futuriste très libre) et Matteo Garrone. Parmi toutes celles-ci, c’est définitivement le film de Disney sorti en 1940 (et dont le remake-live récent fait peine à voir) qui demeure la plus illustre réussite.
Revoir un Pinocchio en film d’animation requiert donc une approche et une tonalité différente, et c’est ce que Guillermo Del Toro apporte dans cette version qu’il co-réalise avec Mark Gustafson. En projet depuis le milieu des années 2000, ce Pinocchio jouit d’une stop-motion absolument somptueuse, tandis que le récit nous ramène aux origines de l’histoire originale, avec la sensibilité de l’inénarrable réalisateur mexicain.
Ce Pinocchio par Del Toro débute donc en 1916 en Italie, alors que Gepetto (David Bradley) perd son jeune fils lors d’un bombardement (c’est la Première Guerre Mondiale!). Se rendant chaque jour sur sa tombe pendant près de deux décennies, Gepetto décide un soir de construire un pantin de bois pour faire revivre son fils, alors qu’il est alcoolisé et noyé dans son chagrin.
Alors que la Fée Bleue (Tilda Swinton) donne vie au fameux Pinocchio, le reste du récit va nous montrer le personnage dans cette Italie des années 30, alors en proie au fascisme ambiant. Source de convoitises par plusieurs viles protagonistes, ce dernier sera embrigadé et Gepetto va tout faire pour retrouver Pinocchio, affublé de Sebastian J. Cricket (Ewan McGregor).
Trauma d’enfance
Avec ce Pinocchio, Guillermo Del Toro conserve la moelle épinière du récit, tout en y apportant sa propre voie et divers éléments narratifs inédits. Exit l’île aux enfants ou le Renard, et bienvenue au camp d’entrainement de jeunes fascistes ou encore le cirque itinérant de l’infâme Comte Volpi (un Cristoph Waltz maniant les accents à la perfection). La fuite de Pinocchio, le passage dans la gueule de Monstro, quelques passages musicaux…les fondations sont bien là mais Del Toro investit le récit de toutes ses obsessions.
Dès lors, on peut y voir dans ce Pinocchio une conclusion de sa trilogie sur l’enfance en plein fascisme, initiée par l’Échine du Diable (dont on retrouve un plan de bombardement aérien identique) et le Labyrinthe de Pan. Ici il n’est donc plus vraiment question d’un pantin de bois désireux de devenir un vrai petit garçon (certes cet aspect est bien présent), mais comment ce même pantin peut se dénouer de ses liens face au totalitarisme.
Film tout public certes, ce Pinocchio aborde en effet de manière frontale l’embrigadement sous Mussolini, la mort de divers personnages, des rapports père-fils sous un prisme plus adulte qu’il n’y parait ou encore la mort et l’immortalité par le regard doux-amer de Guillermo Del Toro. On y retrouve d’ailleurs tout son amour pour Frankenstein, que ce soit par quelques plans-références, ou ce regard de la création de l’homme qui questionne notre rapport à Dieu (la figure christique est même directement évoquée).
L’abord de la mortalité est central (notamment par la figure de la Mort doublée là encore par Tilda Swinton), et réserve une bonne dose d’émotion bienvenue, notamment dans une conclusion allant plus loin que celle du conte original. Une réussite éclatante en terme d’écriture et d’intention, en synergie totale avec la fabrication tout simplement exemplaire du long-métrage.
Un vrai garçon en pin
D’entrée de jeu le constat est là : ce Pinocchio impressionne et émerveille à plus d’un titre. De sa direction artistique (le Fée Bleue faisant office d’esprit de la forêt semble tout droit sortie d’un Hellboy II) à son animation proche des productions Laika (Kubo), cela fourmille de détails à chaque plan et ce dans tous les recoins (Cricket qui vit au cœur de Pinocchio telle sa conscience morale en est un exemple parmi d’autres). La plus grande réussite tient donc du fait que ces personnages-figurines pré-fabriqués prennent littéralement vie sous nos yeux pour être vecteurs d’émotion, tel ce pantin de bois qui devient un vrai petit garçon !
Au final, Pinocchio est à l’image du cinéma de Guillermo Del Toro : inspiré et inspirant ! En résulte une version à la fois familière mais avant tout terriblement singulière. Et outre sa facture visuelle absolument impeccable et ses thématiques pertinentes, c’est bien pour le cœur de ce récit intemporel qu’on retiendra cette réussite Netflix, s’installant aisément comme le film d’animation de 2022.
Pinocchio par Guillermo Del Toro est disponible sur Netflix depuis le 9 décembre 2022
avis
Avec ce Pinocchio, Guillermo Del Toro investit le conte de Collodi de sa sensibilité multi-référentielle par un contexte fort et évocateur, une animation en stop-motion relevant de l'orfèvrerie, de personnages hauts en couleur et d'une réelle émotion.
Son regard doux-amer (mais néanmoins tendre) sur la vie et sa finalité parachèvent d'en faire un excellent film d'animation.