Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, le jeune Malik Oussekine est tué par les forces de l’Ordre alors qu’il prend part à une manifestation d’étudiants. 40 ans plus tard, ce faits divers résonne encore dans les mémoires. C’est ainsi que Rachid Bouchareb (Indigènes) y consacre un film porté par Lyna Khoudri et Reda Kateb, s’intéressant avant tout à la famille et présenté dans la section Cannes Première.
L’affaire Malik Oussekine aura légèrement inspiré un film comme La Haine, mais ce n’est qu’en 2022 que l’évocation y est plus frontale. C’est ainsi que Rachid Bouchareb (habitué à réhabiliter les oubliés algériens dans l’Histoire avec Indigènes ou bien Hors-la-loi) aborde l’envers du décor avec Nos Frangins, présenté au Festival de Cannes 2022.
Pour rappel, le jeune Malik avait 22 ans lors des faits. Alors étudiant, un climat de tension s’empare de la capitale à cette période, pour causes de manifestations. La cause : le projet de loi Vaquet, consistant à réformer l’admission à l’université (sélection à l’entrée, concurrence entre établissements…).
C’est dans ce contexte de tension, après plusieurs semaines de contestations pas si éloignées de certains rassemblements français 4 décennies plus tard, que Malik Oussekine est tué dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Sortant d’un club de jazz dans le 6e arrondissement, ce dernier est gratuitement pris en chasse par 3 voltigeurs (brigade de policiers à moto et armés de matraques en bois) auparavant mobilisés pour disperser les étudiants-casseurs.
Battu à mort, Malik représentera un vif symbole contre les violences policières,qui verront la dissolution de l’escadron des voltigeurs, en plus d’annuler le projet de loi Daquet. Cependant, le jeune Abdel Benyahia (également d’origine maghrébine) sera tué par balle la même nuit par un policier ivre. Avec Nos Frangins, Bouchareb signe une commémoration symbolique s’intéressant avant tout aux répercussions de ce double-homicide.
Le récit collatéral
Par pudeur ou déférence, la mise en scène se veut cruellement discrète, voire même minimaliste. Tel au théâtre, la (bonne) reconstitution d’époque sert avant tout de décorum pour laisser la place aux acteurs. Via l’utilisation répétée et adéquate d’images d’archives, Nos Frangins rappelle le contexte socio-politique explosif de l’époque, tout en abordant le sujet par le simple prisme de la famille et du policier Daniel Mattei.
Nos Frangins alterne donc entre scènes intimistes entre Sarah (Lyna Khoudri) et Mohamed (Reda Kateb), frère et sœur de feu Malik ; Mattei (Raphaël Personnaz) qui nous confronte à l’impunité des forces de l’ordre de l’ordre, ou encore le paternel d’Abdel (Samir Guesmi), d’une sobriété assez étonnante. Ce qui permet d’aborder un autre souci du film, qui malgré son profond respect pour cette histoire, ne bénéficie d’aucun réel point de vue (une tare partagée avec Novembre, abordant tous deux des traumas français par une approche diamétralement opposée, mais tout aussi timorée)
Tout pour les acteurs
Heureusement Lyna Khoudri (Novembre, The French Dispatch, Papicha) et Reda Kateb (Le Chant du Loup, Les Promesses, Les Derniers Parisiens) parviennent à retranscrire la colère et la consternation sine qua non requises, sans jamais verser dans le pathos ou la sur-dramatisation par le jeu. En contrepartie, le reste de la famille reste bien trop apathique, et la multiplication des portraits sans réel angle d’attaque nuit à l’entreprise pourtant sincère du réalisateur.
L’enjeu reste avant tout de montrer un multiculturalisme contrarié, via notamment l’allusion au projet de reconversion religieuse par Malik, comme poussé par la société à renoncer à ses propres racines. Un questionnement intéressant, mais plus énoncé que réellement traité. C’est ainsi qu’on conseillera avant tout la série Oussekine sur Disney+, abordant en profondeur ce funeste évènement via un récit des faits plus minutieux (en particulier le combat judiciaire qui aura suivi) et complet.
Pour la beauté du geste
Au final, Nos Frangins a le mérite de remettre en lumière un souvenir douloureux autant qu’un dysfonctionnement étatique (racisme, bavures policières, œillères du ministère de l’Intérieur), à défaut d’être un film réellement prenant voire même complètement pertinent dans son traitement en retrait. Bouchareb s’aide néanmoins d’un duo d’acteurs de talent pour incarner ces familles endeuillées, ainsi que d’une sincérité globale se traduisant par une utilisation des images d’époque (dont un touchant final sur qui pourrait résumer l’entreprise du métrage) nous intimant de ne jamais oublier.
Nos Frangins sortira au cinéma le 7 décembre 2022
avis
Trop précautionneux et déférant pour être pertinent, Nos Frangins pallie ses faiblesses de rythme, de mise en scène et d'approche purement émotionnelle par une authenticité globale, des acteurs convaincants et un regard vers la vérité documentalisée encore riche en émotion. Pas de quoi justifier les 1h30 de film ceci dit, malgré un message sincère.