Après Gomorra ou Dogman, l’italien Matteo Garrone revient avec Moi Capitaine, odyssée humaine centrée sur la traversée du Sahara et de la Méditerranée par un jeune migrant. Un film qui n’a pas volé son Lion d’argent à la Mostra de Venise, ni le prix d’interprétation du meilleur espoir. Mais derrière la beauté plastique et de vraies velléités de cinéma, se posent la question de ce qui supporte la dramaturgie d’un tel périple ancré dans le réel.
On pourrait presque l’oublier, mais l’Italie est un riche vivier de réalisateurs, même encore aujourd’hui. Que ce soient l’increvable Marco Bellochio, la nouvelle révélation de Gabriele Mainetti ou le sous-estimé Stefano Sollima, il faut aussi compter sur Matteo Garrone. Désormais invité réguliers de Cannes ou Venise, ce dernier s’attaque avec Moi Capitaine (Io Capitano) à un sujet brûlant d’actualité, notamment en Italie.
En effet, le film aborde l’émigration d’africains, de Dakar au sud de l’Europe, en se basant sur le récit de quelques migrants ayant servis de consultants au scénario (Kouassi Pli Adama Mamadou, Arnaud Zohin, Amara Fofana, Brhane Tareke et Siaka Doumbia). Mais Moi Capitaine conte le récit fictionnel de Seydou (Seydou Sarr), jeune sénégalais de 16 ans, qui va décider avec son ami Moussa (Moustapha Fall) de quitter Dakar pour l’Europe. Mais derrière le fantasme d’une vie meilleure, les deux comparses vont entreprendre un dur périple, dont les dangers vont mettre à mal leur humanité.
Voyage sans moelle
Il est d’ailleurs tout à fait intéressant d’aborder l’émigration par ce prisme, voulu comme un récit épique contemporain par Matteo Garrone et ses co-scénaristes. Alors que les médias nous ont habitué à ces visions de boat people décharnés et maladifs débarquant sur les côtes méditerranéennes. Ainsi, Moi Capitaine va s’intéresser à ce qui précède tout cela, en recentrant le côté humain de ce long voyage.
Malheureusement, le métrage présente 2 tares significatives : sa base, et sa finalité ! En effet, après nous avoir présenté Seydou et Moussa, deux adolescents rêvant de quitter le quotidien de Dakar pour aspirer à une vie plus ample en Europe, jamais le scénario ne précisera une raison digne de ce nom à part un fantasme de percer dans la musique.
Une raison somme toute valable et plausible, mais Garrone oublie de montrer réellement en quoi le Sénégal est une terre sans avenir pour nos protagonistes, et en quoi il parait vital d’en partir. Même d’un point de vue mythologique, difficile donc d’acheter ses personnages qui s’engagent dans une traversée aux difficultés croissantes, lorsque rien ne sous-tend ou ne motive humainement parlant ce long voyage.
Odyssée imagée
Là encore, Moi Capitaine n’aurait sans doute aucun réel problème si il commentait justement à l’arrivée cette échappatoire vers la terre promise fantasmée qu’est l’Europe. Mais sans divulguer la conclusion du métrage, là encore Matteo Garrone choisit de conclure son récit pile au moment où une réflexion politique sur le devenir de ces réfugiés aurait été pertinente, et même importante.
Bref, niveau contextualisation, le pur moteur narratif (la base même de l’intrigue ainsi que sa substantifique moelle) semble branlant dans ce Moi Capitaine, sans doute trop frileux à montrer que venir en Europe est sans doute une non-solution (ou bien à l’inverse, en quoi c’en est une). La contrepartie heureuse, est que Matteo Garrone emballe le film avec un vrai sens de cinéaste !
Moi Capitaine prend donc une aventure, partant du Sénégal jusqu’à la dangereuse traversée de la Méditerranée, en passant par le Mali, le Sahara ou la Libye. Le réalisateur offre ainsi au film des allures de voyage piccaresque, mais aussi de conte. De quoi réhausser la charge mythologique globale, notamment via de saisissants panoramas désertiques ou séquences de foule (le final !).
Aux frontières du réel
La mise en scène permet ainsi une implication assez immédiate, alors que Moi Capitaine lève le voile sur une odyssée semée d’embûches en tout genre : entre les trafiquants de passeports et autres arnaqueurs, il faut aussi compter sur les esclavagistes et les conditions météorologiques insoutenables. Loin du style documentaire, le métrage n’hésite pas à apporter (avec parcimonie ceci dit) une picturalité renvoyant presque au cinéma fantastique (genre que Garrone a déjà investi).
Une manière expressionniste de véhiculer le voyage émotionnel de Moussa, quitte à s’écarter du réel (ce passage de construction de fontaine semblant tout droit issu d’une fable). Et derrière une fabrication impeccable, il faut saluer le casting, en particulier la révélation Seydou Sarr, dont c’est le premier rôle dans un film, mais qui parvient à incarner toute la progression vacillante de son personnage, avant une résurrection plus triomphale.
Mais pour conclure, demeure malgré tout cette regrettable impression que derrière le beau livre d’images, le propos et la nature même du récit sont manquants. Moi Capitaine a heureusement le mérite d’ouvrir une porte de réflexion en donnant de la voix à des individus dont on ne soupçonne pas les marches qui ont dû être gravies dans la douleur et la solitude. Pas mal donc, mais loin du home run voulu !
Moi, Capitaine sortira au cinéma le 3 janvier 2024
avis
Moi Capitaine est une nouvelle preuve du talent de cinéaste de Matteo Garrone, emballant cette odyssée migratoire avec une vraie recherche picturale, lorgnant vers le récit picaresque et le conte. Malheureusement, scénaristiquement le film parait plus illustratif que profondément incarné, en omettant à la fois toute réflexion politique ou humaine sur les raisons du périple, ou bien sa finalité. Des manques qui nuisent donc à l'entreprise, malgré le réel talent de la révélation Seydou Sarr, et une fenêtre allouée vers un monde finalement peu connu des yeux occidentaux. Un résultat contrasté mais non-dénué d'intérêts donc !