L’attente est enfin terminée. Le légendaire cinéaste du Parrain et d’Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, revient au Festival de Cannes 2024 (où il a déjà remporté deux Palmes d’or) pour présenter un long-métrage qui a germé dans son esprit pendant plus de 40 ans et qu’il a auto-produit avec son argent (120 millions de dollars). Mais est-ce que Megalopolis se révèle à la hauteur de son obsession et de notre fantasme ? Le retour au réel est violent.
Tout part sur de bonnes bases : un nouveau projet fou pour Francis Ford Coppola, l’un des plus grands cinéastes américains de l’histoire du cinéma. Puis cela commence à dérailler gentiment, tout en titillant notre curiosité, avec des rumeurs d’un tournage catastrophique… Mais à chaque fois que l’on entend une telle chose, on se souvient d’Apocalypse Now et de son tournage infernal et cela nous rassure. Avec Coppola, plus c’est le chaos en production, mieux le résultat sera.
En théorie, ce récit aborde des thématiques fascinantes à travers l’histoire d’un New York semi-contemporain-futuriste qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Rome sous l’Empire romain. Les personnages se prénomment Cicéron ou encore Crassus, vivent une vie décadente guidée par le pouvoir, l’argent, le sexe (pas forcément dans cet ordre). Seuls deux êtres se distinguent de cette déchéance humaine : César (Adam Driver), un architecte utopiste qui imagine un monde meilleur et Julia (Nathalie Emmanuel), fille du maire, qui partage sa vision.
Ce doux rêve qui combine l’idée de l’uchronie et de l’utopie en architecture (transformer profondément la société par l’architecture urbaine), est une idée passionnante, mais terriblement mal exploitée. Il est difficile, voire pénible, de revenir sur un scénario aussi incohérent, dénué d’une véritable vision de ce dont il veut parler. Le traitement est des plus génériques et des plus absurdes aussi. Faussement complexe dans son approche, il demeure constamment à la surface de ses concepts, se perdant inlassablement dans sa métaphore avec les romains qui, franchement, ne raconte rien de pertinent.
La fameuse Rome antique des années 80
Ce qui est le plus prégnant dans Megalopolis, c’est son blocage temporel dans les années 80, date à laquelle l’idée est apparue dans la tête du réalisateur. On a l’impression qu’il a gardé tous les éléments de son script original, en le retouchant à peine. Or, ce qui fonctionnait il y a 40 ans n’est plus perçu de la même manière à notre époque en témoigne le point le plus révélateur de ce souci : la représentation de la femme.
Consternant est le mot qui nous vient à l’esprit pendant l’entièreté du long-métrage. Les femmes n’ont strictement aucune substance dans le récit, si ce n’est d’être des sextoys pour hommes de pouvoir. Au mieux, elles se servent de leur physique pour gravir les échelons de la société. Elle ne possède aucun intellect, si ce n’est dans la perversité et la fourberie.Seul le personnage principal féminin, Julia, est un peu plus que cela. Mais fondamentalement, elle finit au stade de la bonne épouse qui n’a que pour seule utilité de servir son mari, un génie.
Alors pour défendre Megalopolis, on pourrait argumenter qu’à l’époque de la Rome antique, la femme n’était pas mieux traitée que dans le film. Son mari ou père avait pouvoir de vie ou de mort sur elle et cette dernière n’avait pas beaucoup plus d’importance qu’un simple esclave. Néanmoins, on doute sincèrement que c’est ce qui a poussé Coppola à maltraiter l’écriture de ses personnages féminins. Cela se révèle juste être un triste choix scénaristique – inconscient probablement, ce qui d’une certaine manière rend cela encore plus dramatique. Dans les années 80, cela serait peut-être passé. De nos jours par contre…
Un navire sans capitaine, une coque avec des milliers de trous
Bref, le scénario est très mauvais, mais il reste le génie visuel de Coppola, n’est-ce-pas ? Eh bien, on l’a cherché et on l’a trouvé dans son Dracula de 1992. Depuis, c’est le néant et on atteint un nouveau sommet vers le bas avec Megalopolis. Ce dernier est comparable à un mauvais sitcom, voir à une série Z à qui on aurait donné beaucoup trop de budget par inadvertance. L’esthétique ressemble à une chambre d’enfant : tout est sens dessus dessous et on ne comprend pas comment il en est arrivé à ce stade-là du capharnaüm. On fait face à une démonstration académique d’une direction artistique lamentable : cadrages creux, montage de niveau aléatoire, expérimentations visuelles anéanties par des dialogues ampoulés, décors ridicules… Le tout englobé par une photographie signée Mihai Mălaimare Jr. (The Master, oui, oui) qui se révèle aussi plate que le reste.
Le long-métrage donne la sensation d’un homme dépassé par son métier qui réalise un film sans contre-pouvoir (étant lui-même producteur et financier). Les vieux cinéastes actuels en activité (Ridley Scott, Clint Eastwood, Martin Scorsese…) ont tous en commun de s’entourer d’une solide équipe et font face à des avis divergents dans leur process artistique. On ne connait pas tout sur le tournage de Megalopolis, mais clairement quelqu’un aurait dû dire à un moment donné : »Non, Francis. Arrête. Tu te fais du mal. »
Néanmoins, quand vous avez un mauvais script, une mise en scène absente, une direction artistique à la ramasse, il vous reste toujours le talent des acteurs pour sauver le film du naufrage ! Sauf que non. Adam Driver tente ce qu’il peut, mais que peut-il faire ? Étant donné l’écriture des rôles féminins, c’est tout simplement injouable pour les actrices. Enfin, différentes têtes connues peuplent cet univers désincarné et on se demande s’ils ne sont pas rentrés sur le plateau de tournage par inadvertance. Dustin Hoffman fait un petit coucou pour la forme et Jon Voight a abandonné l’idée de jouer avant même de commencer ses scènes. Bizarrement, celui qui s’en tire le mieux dans le grotesque assumé, c’est Shia LaBeouf (on ne l’aurait jamais parié).
Au final, ce n’est pas de la colère qu’on ressent pour Megalopolis. On est juste triste, profondément désolé de voir un cinéaste qu’on apprécie tant, s’auto-détruire pour le dernier film de sa carrière. 40 ans à faire germer une idée pour arriver à cette débâcle, c’est d’une violence sans nom. On a envie de pleurer.
« This is the end my only friend, the end. » Apocalypse Now commence par ces paroles de Jim Morrison. Cette musique aurait pu figurer à la fin de Megalopolis comme un rappel que c’est la triste fin d’un grand cinéaste. La vie s’avère bien cruelle. Alors, il faut probablement aller de l’avant, laisser s’échapper ce navet – hélas, c’est le mot adéquat – de notre esprit et mémoire collective. Revenons en arrière et chérissons la carrière d’un homme qui a tant donné pour le cinéma et dont nombreuses de ses œuvres sont immortelles et intemporelles. Bref, oublions juste la fin.
Megalopolis sortira au cinéma le 25 septembre 2024. Retrouvez toutes nos critiques du Festival de Cannes 2024 ici.
Avis
Un désastre, tout simplement. Rien ne va dans cette grosse production auto-financée par le cinéaste Francis Ford Coppola : scénario raté, une forme de misogynie, des acteurs à la ramasse, une direction artistique aléatoire... On sort de Megalopolis non pas en colère, mais triste. Voilà donc la dernière œuvre d'un des plus grands cinéastes de l'histoire du cinéma.