Présenté en Sélection de la Mostra de Venise mais aussi à l’Etrange Festival, Maldoror est le nouveau film de Fabrice du Welz (Calvaire, Inexorable). Prenant comme point de départ l’affaire Dutroux, ce polar ample porté par Anthony Bajon est avant tout une réussite en tant que portrait d’un personnage juste en pleine descente aux affaires.
Le contexte de Maldoror ne parlera peut-être pas à certains, pourtant l’année 1996 conserve une saveur particulière pour la Belgique : les diverses polices (notamment judiciaire) et la gendarmerie évoluent chacune de leur côté, et plusieurs fillettes/adolescentes sont enlevées, violées et tuées depuis plus d’un an sans qu’on ne sache l’auteur de ces faits.
Après plusieurs épisodes de dysfonctionnements de la Justice, les coupables sont arrêtés : Marc Dutroux (un violeur récidiviste) et sa femme. Quelques victimes sont libérées, mais la majorité voient leur corps décédé exhumé, avant que l’auteur de ces crimes ne parvienne à s’échapper..pour au final être attrapé et contraint à la prison à perpétuité !
L’affaire Dutroux a non-seulement été marquée par des faits sordides, mais fut aussi le point de départ de troublantes révélations d’une corruption ambiante impliquant d’autres strates de la société. Un sujet en or pour Maldoror et Fabrice du Welz, désireux de faire « son Zodiac » (les parallèles sont évidents) après le réussi Inexorable.
Dutroux mais pas trop
Néanmoins, après une contextualisation historique, Maldoror s’inscrit dans une certaine forme de révisionnisme, tandis que Fabrice du Welz tort la réalité (les personnages, lieux et faits narrés demeurent différents) pour mieux ancrer son histoire dans un imaginaire collectif certes évocateur, mais permissif à un parcours de personnage cinématographique.
Et ce personnage est Paul Chartier (Anthony Bajon), jeune gendarme idéaliste récemment marié qui suite à un tuyau va tenter de résoudre à lui seul ces disparitions de jeunes filles. Le début d’une enquête certes, mais aussi du combat d’un homme seul se heurtant à la hiérarchie et aux dysfonctionnements internes des forces de l’ordre.
Avec Maldoror (nom de l’opération secrète du film où Chartier se retrouve à enquêter en sous-marin), Fabrice du Welz puise dans le cinéma des 70’s : un cinéma toujours centré sur les personnages, et l’emprise que l’environnement socio-politique à sur eux. Si bien que malgré son aspect polar « true crime » hérité de l’affaire Dutroux, le film se veut plus intéressant lorsqu’il embrasse la fiction.
Du vrai cinéma avec quelques concessions
Une dimension légèrement décevante à celui qui cherchera une symbiose parfaite entre le réel et le purement fictif, surtout lorsque Maldoror survole une dimension plus ample de ce que gangrène profondément le gouvernement ou la police d’époque (bref ce n’est pas The Wire !). Un caractère un tantinet frustrant par instants (représenté par le rôle trop tertiaire de Mélanie Doutey), surtout lorsque le récit donne l’impression que chaque personnage périphérique est là pour mettre des bâtons dans les roues de notre protagoniste vertueux, en dépit de disparitions capables d’ébranler le pays.
Heureusement, Maldoror s’impose comme une œuvre dense malgré ses quelques sorties de route (pour mieux nous cueillir ensuite) : de sa première demi-heure parfaite qui comme chez Cimino s’attarde sur l’entourage familial ou la vie au sein d’une communauté (italienne sans recours au sous-titre ici) jusqu’à un climax intense renvoyant aux premiers films du réalisateur, en passant par ses diverses variations de ton (bel atout de légèreté qu’Alexis Manenti) et ses moments de tension.
Tout comme dans Memories of Murder, on se plait à voir 2-3 individus prêts à remuer la m**** sans réellement y arriver, mais toujours prêt du but. Un équilibre tenu, même si on pestera parfois contre une caractérisation sommaire (voire clichée) des antagonistes de Maldoror (croisement entre le redneck étranger et le bouseux belge).
Malgré des interrogations initiales (y compris sur la capacité d’un Anthony Bajon au look juvénile à tenir le rôle), Fabrice du Welz laisse la noirceur s’installer et diffuser par combustion lente, pour empoisonner chaque composante de l’intrigue. D’un mariage joyeux à la dislocation du couple, de camaraderie professionnelle à l’isolement le plus complet, d’une mise en scène sobre épousant la texture granulée des 90’s jusqu’à une réalisation coup-de-poing (coups de feu compris dans un intense gunfight) au plus près de la putréfaction et du sang..
Maldoror, ou le hardboiled à la francophone
Maldoror déroule un schéma connu du cinéma hardboiled (séquence écœurante à la 8mm compris), mais qui se retrouve en (presque) totale symbiose avec le contexte de l’affaire Dutroux, en dépit des libertés créatives prises. Mais plus encore, c’est dans son casting que le film puise sa force minérale, jusque dans ces second couteaux (impeccable Laurent Lucas). On regrettera quand même une faible présence de Sergi López (inoubliable vilain du Labyrinthe de Pan et Harry, un ami qui vous veut du bien), véritablement exploité dans 2 séquences de confrontation, ou bien la toujours parfaite Alba Gaia Bellugi un peu trop reléguée à sa fonction de mère au foyer.
Non, c’est bien Anthony Bajon qui porte l’ensemble avec une assurance et une pugnacité, proposant une trajectoire tangible et incarnée de Paul Chartier jusque dans le tout dernier plan lourd de sens de ce Maldoror résolument intense. Imparfait certes de par une durée de 2h30 limitant forcément l’exploitation de toutes ses branches narratives, mais une bonne pioche qui ne peut laisser insensible, avec du cinéma dedans !
Maldoror sortira au cinéma le 15 janvier 2025
avis
Avec Maldoror, Fabrice du Welz revisite l'affaire Dutroux dans un polar qui a plus à voir avec une étude de personnage hardboiled plutôt qu'un crime drama historique. Le résultat a beau être imparfait dans sa gestion des diverses couches narratives pour traiter un sujet aussi ample et vertigineux, mais le réalisateur (aidé de son excellent casting) fabrique un vrai film de cinéma, aussi généreux qu'intense. Une bonne pioche !