Les filles aux mains jaunes est une pièce puissante et sensible sur la naissance du féminisme et le pouvoir de l’engagement.
Les filles aux mains jaunes nous ouvre les portes d’une usine d’armement durant la Première Guerre mondiale, là où travaillent les femmes tandis que les hommes étaient sur le front. C’est le destin de quatre femmes aux personnalités fortes et imposantes que nous suivons. Quatre ouvrières d’horizons différents qui vont unir leurs forces dans un univers difficile et face aux injustices qu’elles subissent.
Nous l’avions manquée lors du Festival OFF 2021 où elle avait rencontré un vif succès. Et l’on comprend désormais pourquoi. En effet, cette pièce de Michel Bellier est une totale réussite. À la fois profonde, incarnée, esthétique et instructive, elle offre un moment de théâtre éblouissant.
De la soumission à la prise de conscience
Août 1914. La guerre s’installe en même temps que la pénurie. Seules les usines d’armement embauchent, et puisque les hommes sont au front, ce sont les femmes qui se soumettent aux conditions de travail pénibles qui y règnent pour fabriquer des obus. Risques d’explosions, de brûlures, d’empoisonnement… : le danger y est omniprésent. Un salaire deux fois moins élevé que celui des hommes et un verre de lait par jour, c’est tout ce à quoi elles ont droit.
« Il faudra qu’elles m’apprennent, celles qui tiennent debout, comment elles font. »
L’histoire que nous suivons est celle de Julie, Rose, Jeanne et Louise, la dernière arrivée, celle qui écrit chaque jour le récit de son expérience dans un journal. Celle qui intrigue Rose aussi, par son assurance, ses convictions. Car Louise est une journaliste militante chez les suffragistes, et c’est d’un autre destin qu’elle rêve pour les femmes.
Ainsi, son arrivée va peu à peu permettre à ces femmes, éduquées pour n’envisager la vie que sous l’angle de l’homme, de s’interroger, de remettre en question leur condition, d’aspirer à une vie meilleure. On observe alors les envies de liberté, de légèreté qui germent à mesure que des liens se tissent entre elles et que la conscience de chacune s’ouvre peu à peu.
Les filles aux mains jaunes à la conquête de leur émancipation
Les filles aux mains jaunes met en lumière le destin de ces milliers de femmes qui se sont d’abord pliées à des conditions de travail épouvantables dans le but de pouvoir nourrir leurs familles, de survivre. Puis, qui ont eu cette force admirable, ce courage de s’unir et de se révolter ensemble pour conquérir leurs droits, leur indépendance, leur liberté.
« N’attends pas que quelqu’un parle à ta place. Prends la parole, et raconte. »
Ces femmes sont inspirantes, et leur combat humaniste pour l’égalité l’est d’autant plus qu’il ne nous parle pas que d’hier. Car, si ce n’est qu’en 1972, rappelons-le, qu’est apparue – en théorie – dans le Code du Travail l’égalité de salaire entre les hommes et les femmes, la mise en pratique demeure à ce jour une lutte féministe… parmi bien d’autres.
Une distribution brillante
Pour interpréter ces rôles forts, on retrouve quatre comédiennes formidables. On aime beaucoup la fraîcheur du jeu d’Anna Mihalcea, qui incarne une Julie dont on sent frémir la fougue et le bouillonnement de la vie sous la surface disciplinée. Brigitte Faure (Le petit coiffeur) est parfaite dans le rôle de la tempétueuse Jeanne, empêtrée dans une forme de soumission et hermétique à tout ce qui pourrait ressembler à une revendication.
Pamela Ravassard, dont nous avons pu apprécier les talents de metteuse en scène dans l’adaptation du roman de Gilles Paris, Courgette, cet été à Avignon, et dans 65 Miles au OFF 21, campe ici brillamment une Louise conquérante et inspirante. « Pas le droit ? Aujourd’hui je le prends ! » clame-t-elle avec détermination. Et dans le rôle de l’attachante Rose, Élisabeth Ventura, également à l’affiche de L’invention de nos vies, nous séduits.
Un travail intensément collectif
Assisté de Lucia Passaniti, le talent de Johanna Boyé – qui signe actuellement la mise en scène de L’invention de nos vies, dont nous vous parlions il y a quelques jours – atteint ici son paroxysme. En effet, le dispositif scénographique d’Olivier Prost est grandiose et nous immerge complètement dans cette usine où la chaleur étouffante des machines rend l’air à peine respirable quand le froid de l’hiver ne s’engouffre pas à travers ses carreaux cassés.
Une atmosphère appuyée par les lumières sombres de Cyril Manetta, qui se réchauffent lorsque les femmes partagent des moments de complicité et prennent ensemble le chemin vers plus de liberté. Dans les costumes tout aussi réalistes de Marion Rebmann, ces quatre ouvrières en uniformes se plient à la cadence des machines sans cesse rappelée par la création sonore ingénieuse de Mehdi Bourayou. Et c’est à une véritable chorégraphie – signée Johan Nus – qu’elles se livrent alors tandis que les mêmes gestes se répètent, inlassablement.
Et si l’on a ainsi envie de citer toute l’équipe artistique de cette pièce, c’est parce que l’on ressent intensément que c’est de cela dont il s’agit ici : d’un brillant travail collectif. En effet, il est rare d’assister à un spectacle où le travail de chacun apporte à ce point quelque chose de distinctif qui contribue à l’harmonie parfaite de l’ensemble.
Et lorsque la pièce se termine sur un joli moment d’émotion, les applaudissements sont fournis et le public est debout. Il ne pouvait en être autrement.
Les filles aux mains jaunes, de Michel Bellier, mise en scène Johanna Boyé, avec Brigitte Faure (en alternance avec Brigitte Damiens), Anna Mihalcea, Pamela Ravassard & Élisabeth Ventura, se joue du mercredi au samedi à 19h et le dimanche à 17h30 au Théâtre Rive Gauche.
Avis
Ce spectacle est d'une grande finesse et d'une grande justesse, aussi bien dans son écriture que dans sa mise en scène et dans l'interprétation des comédiennes. Une plume d'homme pour défendre si brillamment les droits des femmes, voilà qui donne encore plus d'ampleur à cette œuvre.