L’invention de nos vies nous plonge dans le récit follement rythmé et romanesque d’une existence basée sur le mensonge.
L’invention de nos vies est tirée du roman de Karine Tuil, finaliste de la sélection du prix Goncourt 2013. On y découvre l’histoire de Sam Tahar, enfant des cités parti faire une brillante carrière d’avocat à New York. De quoi susciter l’admiration… s’il n’était pas parti en « empruntant » l’identité d’un autre…
Après son succès lors du dernier Festival OFF d’Avignon, cette épopée contemporaine s’installe à Paris. Et si certains aspects de l’histoire nous ont valu quelques réserves, cette adaptation théâtrale bouillonnante de vie et riche en rebondissements nous a quant à elle éblouis par son rythme, son énergie et sa distribution.
Le jeu dangereux des apparences
Dès les premières minutes, on est emporté dans un tourbillon ! L’ambiance est à la fête, à la joie et à la convivialité. On célèbre les 40 ans de Sam dont la vie ressemble à un conte de fée moderne. C’est simple, il a tout : le succès professionnel, la réussite financière, un appartement grandiose, un mariage réussi avec la fille de son patron… Mais on comprend vite que ce portrait bien lisse dissimule quelques secrets qui pourraient bien tout faire basculer.
En effet, cette success story un peu trop belle pour être vraie repose en réalité sur une imposture. Nous ne vous en dirons pas plus pour préserver le suspense de l’intrigue, mais dès lors que la vérité pointe le bout de son nez, c’est toute la vie de Sam qui menace de s’effondrer en même temps que son identité.
« Avec le mensonge, on peut aller très loin. Mais on ne peut jamais en revenir. »
Ainsi, les sept comédien(ne)s sur scène nous embarquent dans les aventures et les déboires d’une trentaine de personnages. Dans un décor épuré, on les observe entremêler leurs histoires, tous en quête d’un bonheur qui semble insaisissable, éblouis par un mirage…
Un casting convaincant malgré les clichés
Bon, débarrassons-nous tout de suite de ce qui nous a moins plu. Si l’idée de départ était de déconstruire les préjugés et les stéréotypes religieux, culturels et sociétaux, c’est plutôt raté car on patauge dedans. Ainsi on se retrouve avec deux meilleurs amis qui convoitent la même femme, un écrivain forcément raté et dépressif, un bel homme à qui tout réussi et évidemment goujat, un arabe qui ne peut donc pas être juif (ah bon ?), un demi-frère resté vivre en cité avec tous les clichés que cela comporte… Un peu lourd tout de même.
Pour autant, on ne peut que passer un très bon moment en compagnie d’une distribution aussi talentueuse. En effet, l’investissement de chacun(e) des comédien(ne)s est total et leur énergie communicative. Admirable dans ce rôle de séducteur avide de reconnaissance, de succès et de femmes, Valentin de Carbonnières – récompensé du Molière 2019 de la Révélation Masculine pour son rôle dans 7 morts sur ordonnance – éblouit par son charisme.
Ses partenaires de jeu se partagent la trentaine de personnages avec la même fougue. On retrouve ainsi Nassima Benchicou, Kévin Rouxel, Élisabeth Ventura ; mais aussi Yannis Baraban – que nous avions découvert dans Closer, lors du OFF 21 – qui alterne brillamment entre le rôle détestable du père et celui plein d’humanité de l’ami ; Brigitte Guedj qui livre notamment une interprétation sensible de la mère de Sam ; ou encore l’étonnant Mathieu Alexandre – que nous avions déjà adoré dans un registre totalement différent dans Titanic.
Quand la forme fait de l’ombre au fond
On doit à Johanna Boyé la mise en scène de quelques excellentes pièces parmi lesquelles l’immense succès Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty et Les filles aux mains jaunes, dont nous vous parlerons bientôt. Soucieuse de retranscrire la dynamique du roman de Karine Tuil, elle propose là encore une mise en scène tonique, enlevée et captivante. En effet, les scènes s’enchaînent à un rythme effréné, ce qui permet de donner à l’ensemble une forme très contemporaine et cinématographique.
Si effréné toutefois que l’on y perd l’impact émotionnel et la crédibilité de certains rebondissements. C’était d’ailleurs ce que l’on avait reproché à la dernière mise en scène de Michalik, Une histoire d’amour. En effet, on en prend plein les yeux, on apprécie le spectacle et certains passages en particulier comme celui, très drôle, de l’émission littéraire. Mais on en ressort un peu frustré de n’avoir pas eu le temps de s’attacher à ces personnages, ni d’être ému par leur histoire.
L’invention de nos vies, d’après le roman de Karine Tuil, adaptation Johanna Boyé et Leslie Menahem, mise en scène Johanna Boyé, avec Valentin de Carbonnières, Mathieu Alexandre, Yannis Baraban, Nassima Benchicou, Brigitte Guedj, Kevin Rouxel, Elisabeth Ventura, se joue jusqu’au 23 novembre 2022, du mardi au samedi à 21h, et le dimanche à 15h, au Théâtre Rive Gauche.
Avis
On voyage entre New York et Paris, entre vérité et faux-semblants dans cette histoire où le jeu des apparences devient un jeu dangereux. En dépit de ses quelques défauts, cette pièce nous transporte et nous fait passer un moment d'une grande intensité.