Le Successeur est le nouveau film de Xavier Legrand, quelques années après le triomphe de Jusqu’à la Garde. Un second métrage qui embrasse encore plus le thriller (mais avec autant d’angoisse), même si les coutures sont parfois trop présentes.
Le Successeur succède (oui!) à Jusqu’à la Garde. Avec ce récit à la frontière du thriller, Xavier Legrand s’était directement imposé comme une des nouvelles étoiles à suivre du cinéma français, récompensé comme il se doit de plusieurs Césars. C’est donc avec un intérêt non-dissimulé qu’arrive son second film, beaucoup plus frontal dans son approche.
Pourtant, Le Successeur fausse les pistes d’entrée de jeu, que ce soit via sa bande-annonce ou même son synopsis : on découvre Ellias (Marc-André Grondin), fraîchement élu comme designer en chef d’une grande marque de Haute Couture française. Mais une fulgurante nouvelle survient : son père est décédé d’une crise cardiaque. Devant assurer la succession, Ellias doit se rendre au Québec sur le lieu de son enfance. Outre le fait d’hériter de la maison de son paternel, il va également découvrir un lègue plus sinistre..
Mise en scène de haute couture
Un canevas de base mystérieux qui donne tout son sel à Le Successeur. Ainsi, il sera difficile d’aborder en long/large/travers la sève du scénario concocté par Dominick Parenteau-Leboeuf et Xavier Legrand. Ce dernier va même jusqu’à brouiller ses intentions dès sa séquence introductive en plein défilé de mode.
L’occasion d’apprécier une fois de plus ses talents de metteur en scène, alliant précision de montage à une scénographie léchée, saupoudrée de la BO rythmée de SebastiAn. Thriller dans le monde de la mode ? Que nenni, l’essentiel du métrage se déroulant finalement au Québec, et principalement dans la demeure de feu le père.
Le spectre de ce dernier planera ainsi sur chaque aspect du métrage, contaminant la psyché d’un Ellias alors en proie à l’anxiété. Le script joue avec aisance de l’économie et du non-dit pour mieux caractériser la relation conflictuelle qui unissait les deux. Pourtant, Le Successeur passera sans doute un peu trop de temps à placer ses pions (presque 40 minutes !), avant que l’intrigue ne se resserre et passe à l’essentiel : un film de maison hantée !
Rien de fantastique, la demeure et son sous-sol servant avant tout à Xavier Legrand de catalyseur dramaturgique pour aller à la fois vers le pur film de genre en rabattant les cartes de nos convictions préalables, mais également vers l’introspection cathartique d’Ellias devant affronter le démon du passé. Un programme rapidement alléchant, mais qui n’est pas exempt de défaut.
Succession empoisonnée
En effet, Le Successeur aborde frontalement le patriarcat, la main-mise insidieuse de ce dernier sur les générations postérieures, et la violence intrinsèque qui la caractérise. De plus, Legrand joue parfois sur un niveau de lecture lorgnant vers la tragédie grecque et le drame Freudien. Déchu de l’élite française, le protagoniste doit ainsi échouer à nouveau vers le milieu modeste enneigé de son enfance, tandis que l’influence du père exerce de nouveau une pression psychologique sur Ellias même au-delà de la mort.
Une substance qui donne au film une saveur certaine (le motif de spirale initial n’étant que l’illustration des évènements à venir), et pourtant il faudra parfois avoir recours à une réelle suspension d’incrédulité pour accepter certaines articulations de l’intrigue. Comme si Xavier Legrand tentait parfois de faire entrer au chausse-pieds scénaristique les coutures rapidement devinées (la réaction initiale d’Ellias étant forcément la plus grosse couleuvre à avaler).
Par la suite, plutôt que d’aller crescendo vers la tension, Le Successeur s’intéresse avant tout aux répercussions sur le mental délitant de son protagoniste,impeccablement joué par unMarc-André Grondin en toute fébrilité. On aurait sans doute apprécié que le jeu avec Yves Jacques aille vers des recoins plus retors (le mal drapé dans le quotidien ayant déjà été admirablement traité dans l’inoubliable L’Homme qui voulait savoir). Pourtant, même si son final se veut beaucoup moins terrassant ou effectif que prévu, il émane toujours de Le Successeur la preuve que Xavier Legrand est une valeur à suivre, à défaut d’être un nouveau home-run.
Le Successeur est sorti au cinéma le 21 février 2024
avis
Avec Le Successeur, Xavier Legrand livre à nouveau un thriller impeccablement fabriqué, mais non-dénué de facilités narratives bien trop illustratives pour être un nouveau home-run digne de Jusqu'à la Garde. Néanmoins, cette tragédie freudienne se révèle plus incarnée qu'il n'y parait, abordant par un prisme original la violence du patriarcat malgré les coutures scénaristiques. Pas mal !