Véritable carton en Chine, Le Royaume des Abysses débarque enfin en France dans nos belles salles obscures. Le film de Tian Xiaopeng invite le spectateur dans une odyssée aquatique aussi stupéfiante de beauté que malheureusement désincarnée. Un flamboyant spectacle néanmoins..
Accueilli à bras ouverts par le public oriental, Le Royaume des Abysses fait office de bonne nouvelle dans le milieu de l’animation. En effet, là où les gros succès de ses 20 dernières années semblent circonscrites aux mêmes écuries (Disney-Pixar, Dreamworks, Illumination et Ghibli), voir d’autres challengers fait automatiquement du bien à l’industrie.
C’était le cas en France à une moindre échelle, mais Le Royaume des Abysses s’exporte désormais (malheureusement sans 3D ceci dit) avec de belles promesses. En effet, ce film d’animation nous présente la jeune Shenxiu, une enfant dont les parents ont récemment divorcé. Alors qu’elle est en croisière maritime avec la nouvelle famille de son père, elle entend une chanson venant mystérieusement de la mer.
En effet, Shenxiu a déjà entendu ce son : sa mère la lui chantait. N’ayant toujours pas digéré cet abandon, la jeune fille va suivre ce chant et se retrouver dans un univers fantastique sous l’océan. Elle va ainsi découvrir le Royaume des Abysses, un restaurant mobile tenu par des poissons humanoïdes, ainsi que l’excentrique Lao Jin.
La Voie de l’Eau
Des son premier plan, il faut se rendre à l’évidence : le film est assurément beau, et jouit d’une technicité globale assez folle ! De Shenxia seule contre les reflets d’une vitre sous la pluie, jusqu’au caractère fastueux du monde sous-marin, Le Royaume des Abysses enchaîne les morceaux de bravoure visuels avec aisance, proposant sans doute le plus beau travail jamais vu sur des objets mouillés en 3D (excepté Avatar bien sûr !).
Il faudra donc éviter le clignage d’yeux intempestif pour tenter d’admirer la foultitude de détails présents dans le fameux restaurant-titre : entre les plats, les créatures anthropomorphes, les diverses textures et les mouvements rapides de chaque personnage, l’aspect kinétique du Royaume des Abysses se mue en véritable festival d’animation pour tout amateur du genre.
Pourtant, un hic va finalement survenir passée la première demi-heure introductive du métrage, pour ensuite mieux se confirmer : Le Royaume des Abysses se contente d’enquiller les scénettes sans pleinement exploiter son semblant d’univers, ni même proposer une aventure trépidante ou inspirée. Le constat est d’autant plus frappant quand on voit qu’à l’instar de l’Odyssée de Pi, Quelques minutes après minuit, Le Labyrinthe de Pan ou même le récent Le Garçon et le Héron, on tient là un récit fantaisiste puisant sa source dans un trauma personnel.
Aventure aux abonnés absents
Ainsi, Le Royaume des Abysses passera la majeure partie de sa durée à enchaîner les morceaux de bravoure plastiques au détriment de toute recherche d’installation d’univers cohérent. Rien que les personnages secondaires en seront symptomatiques, sortes de mélanges entre le phoque et le poisson dénués de toute personnalité.
Pire, Shenxiu elle-même se révèle non seulement passive tout du long (pas nécessairement un défaut ceci dit), mais sans réel travail sur sa psychologie fluctuante ou ses potentiels ressentis. Aucune réaction devant la découverte de ce monde fantaisiste, aucune stupeur à l’idée de quitter la réalité, et surtout aucune connivence ou alchimie avec le fameux Lao Jin.
Personnage-clé du Royaume des Abysses, ce trublion clownesque est heureusement la force motrice du film autant que celui qui affiche une persona plus marquée. Là encore, ce magicien-cuistot dévoile ses rêves et motivations plus intimes, sans jamais que la fantasmagorie globale ne forme une symbiose émotionnelle cohérente.
Contrairement au Voyage de Chihiro, l’aventure fantastique en elle-même se révèle prétexte à chercher un McGuffin sans réelle importance. Une imagerie fourre-tout au service d’une alchimie avec Shenxiu faite au forceps en 5 secondes. L’ennui guette, jusqu’à ce que Le Royaume des Abysses révèle finalement sa véritable profession de foi lors de sa conclusion.
Aussi beau que creux
Un revirement de situation qui ne surprendra sans doute pas les habitués du genre, et qui mène donc l’histoire vers un terrain plus mature bienvenu, avec (enfin) un ancrage dramaturgique. Une manœuvre qui arrive non seulement sur le tard, mais qui déplace le curseur émotionnel de manière plutôt curieuse (exit la perte maternelle) pour justifier le film que l’on vient de voir.
Beaucoup de tares en terme d’écriture..et pourtant difficile de sortir de ce Royaume des Abysses avec une moue complètement abattue devant le travail d’orfèvre certain. La mise en scène transpire la fluidité et imprime la rétine, tout en amenant 100 détails à la seconde. Un spectacle de chaque instant qui est bluffant, mais qui inscrit finalement le film de Tian Xiaopeng comme un beau livre d’images assez creux.
Le Royaume des Abysses sortira au cinéma le 21 février 2024
avis
Le Royaume des Abysses fait office de cruelle déception. Malgré une technicité régulièrement folle, le film de Tian Xiaopeng se mue finalement en récit fantaisiste dénué d'imaginaire et d'emphase émotionnelle, préférant enchaîner les morceaux de bravoure visuels au détriment d'un récit déconnecté de tout sentiment d'aventure. Jusqu'au pathos final amené à la truelle, on tient donc un sous-Ghibli qui malgré tout impressionne régulièrement par la magie opérée à l'écran,malgré une dramaturgie assez creuse. Dommage !