Avec Le Roman de Jim, les Frères Larrieu ouvrent enfin grand les portes de leur cinéma et signent à la fois leur film le plus populaire, le plus universel et aussi le plus beau.
Le Roman de Jim est le neuvième film des frères d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, qui mènent ici dans un geste synthétique tout ce qui a pu faire la beauté de leur cinéma, où la liberté des scénarios et des personnages donnaient trop souvent l’illusion d’un certain cinéma d’auteur français à la fois trop original et trop refermé sur lui-même. Ainsi, leur récent Tralala s’avérait incarner à merveille la place trop confidentielle qu’occupaient les deux cinéastes au sein de notre paysage cinématographique hexagonal, dans un portrait d’errant vagabond chanteur essayant de se faire une place au sein d’une famille qui n’était pas la sienne. Résultat : moins de 90 000 entrées malgré un casting prestigieux et une audace, certes quelque peu réchauffée, mais qui séduisait pourtant toujours autant.
Retour, donc, à ce qu’ils savent faire de mieux (Les Derniers Jours du Monde, L‘Amour est un crime parfait) avec une adaptation, et plus particulièrement du roman éponyme de Pierrick Bailly, qui avait pourtant tout pour les faire fuir. À savoir, celui d’un drame s’étendant sur plusieurs époques et abordant de front la paternité, sujet entrant presque en contradiction avec les personnages aux mœurs libérées et au visage tourmenté de Mathieu Amalric quasi indissociable de leurs œuvres. Pourtant, avec Le Roman de Jim, l’on n’a jamais vu Arnaud et Jean-Marie Larrieu aussi apaisés, doux et sûrs de leur art, signant aisément leur essai le plus accessible et aussi le plus beau.
La vie est un roman
Aymeric (Karim Leklou, bouleversant de retenue), jeune homme perdu, retrouve par hasard Florence, (Laetitia Dosch, dans un double jeu permanent passionnant) une ancienne collègue de travail. Elle est enceinte, et celui qui l’aidera à l’élever sera l’homme qui partagera sa vie au moment de l’accouchement. Des années plus tard, le véritable père de l’enfant (Bertrand Belin, vénéneux) refait surface… De ce postulat simple, mais jamais simpliste, les Frères Larrieu peignent par petites touches toute une vie. Ne s’encombrant jamais d’autres artifices que de ceux d’enchaîner les moments de vie les plus cruciaux comme facteurs déterminant de la destinée de leurs personnages, les cinéastes instillent ainsi leur farouche liberté par petites touches, insufflant à ce drame sur plusieurs années une épure et une légèreté contrastant brillamment avec la lourdeur des thèmes abordés.
Dénué de reconstitution tapageuse et de best-of nostalgiques faciles, les personnages évoluent au fur et à mesure des années sans jamais trop de maquillage, et grâce à une direction d’acteurs fabuleuses, traduisent en bien des postures, des regards et si peu de mots, toutes les douleurs qui les traversent. On traverse ainsi Le Roman de Jim comme on transperce les pages d’un roman, en délaissant les mots pour s’immiscer au plus près des personnages, pour s’imaginer et observer dans les moindres détails tout ce qu’ils renferment et disent de nous. Les idées de mise en scène, brillantes, passent ainsi par cette intimité dévoilée, grâce à un jeu de photo négatives non développées où d’une étouffante séance d’escalade, idées modestes de mise en scène traduisant pourtant à merveille bien des aspects d’un personnage sans avoir à en rajouter plus.
(Très) Beau père
L’originalité propre aux cinéastes réside ainsi dans la douceur avec laquelle ce bouleversant portrait d’homme se voit traitée, délaissant leurs excès pour viser une épure propre au roman de Pierrick Bailly. Il n’y aura ainsi ici nulle effusion, aucun mot plus haut que l’autre où de tristes coups perdus. Juste des rencontres et des choix qui reconstruisent et permettent d’avancer, des scènes intimes filmées avec une infime préciosité comme des instants immortels qui aident à avancer. Cette minutie, on la retrouve évidemment au sein d’un casting, dont l’évidence invite parfois à rêver de franchir l’écran pour rencontrer ces si beaux personnages. Au talent irréprochable de Karim Leklou et de Laetitia Dosch, s’ajoute ainsi celui d’une merveilleuse Sara Giraudeau, épatante de grâce et de spontanéité, incarnant ici un rôle qui la mènera encore un peu plus vers la lumière.
Le Roman de Jim ne serait de plus pas grand chose sans les yeux de cet enfant, incarné petit par Eol Personne et adolescent par Andranic Manet, ancrant un peu plus cette histoire personnelle et autobiographique vers l’universel, pour aborder la paternité avec une très grande poésie. Ainsi, le neuvième film des Frères Larrieu incarne cette bulle de tendresse, ce rempart rêvé contre les récitions violentes, les gestes inconsidérés, les critiques et la division dont nous avons tant besoin. De ce refuge parfait, ou, comme dans les bras d’un père, l’on se sent comme protégé de ce monde absurde et abstrait, et ou l’amour ne se dit pas mais se transmet.
Le Roman de Jim sort le 14 août 2024.
Avis
Avec Le Roman de Jim, les frères Larrieu signent leur plus beau film. Tout en ne reniant jamais leur liberté de cadres et de personnages, les cinéastes parviennent, sans excès et avec une maitrise parfaite de leur art à enfin faire décoller leur cinéma vers l'universel, dans un élan de douceur et poésie très précieux.