Le mystère Ophelia nous plonge dans l’histoire vraie et tragique d’une muse emprisonnée à jamais dans un tableau.
Le mystère Ophelia est une tragédie romantique que l’on prendrait volontiers pour un conte s’il ne s’agissait pas d’une histoire vraie qui a secoué Londres dans les années 1850, et qui hante toujours l’art anglais. L’histoire du tableau le plus célèbre d’Angleterre, représentant le personnage mythique d’Ophelia dans Hamlet, de Shakespeare. Ou plutôt, celle du drame dissimulé sous les coups de pinceaux…
De l’art à la réalité
L’histoire est troublante, fascinante. Elle est celle d’une bouleversante histoire d’amour, d’une tragédie annoncée entre deux êtres épris d’une passion impossible à figer dans le temps et dans le cadre tranquille d’une relation amoureuse. Celle de la réalité qui rejoint la fiction pour précipiter un destin vers les abîmes les plus sombres. Au départ, pourtant, rien ne présageait que ces deux êtres à peu près semblables en rien n’entremêlent leurs existences. Ou peut-être que tout les y prédisposait au contraire.

Lizzie, qui rêvait d’une autre vie, saisit l’opportunité inespérée qui lui est offerte de poser pour des peintres renommés, et notamment Dante Rossetti qui, subjugué par la beauté de la jeune femme, se met à la peindre de manière presque obsessionnelle. Lizzie écrit à sa sœur sa joie nouvelle de se prêter à ce rôle de modèle, de muse. Un peu plus encore lorsque le peintre britannique préraphaélite John Everett Millais lui propose de donner ses traits au personnage d’Ophelia pour sa prochaine toile. Dante, tombé fou amoureux d’elle, tente de la mettre en garde et de l’en dissuader, en vain…
Deux artistes magnétiques
Céline Devalan, que nous avions déjà découverte dans un registre romantique avec sa précédente création, À ces idiots qui osent rêver, est fascinée depuis toujours par cette histoire. Elle s’en est donc emparée pour nous offrir une création richement documentée, dont la forme rejoint le fond puisqu’elle fait s’entremêler l’œuvre théâtrale et le réel par le biais de projections visuelles habilement utilisées. Ce qui donne une profondeur supplémentaire au récit, et même une dimension un peu mystique avec ce rideau de fils sur lequel apparaissent parfois les images des toiles ainsi que des vidéos ; où que viennent transpercer des jeux de lumières évocateurs et envoûtants.
« Nous sommes des artistes, nous ne pouvons pas avoir des vies ordinaires, cela nous tuerait à petit feu. »
Sur scène, elle donne vie avec de jolies nuances au personnage de Lizzie dont l’assurance et la stabilité apparentes vont peu à peu s’effriter au même rythme que sa passion amoureuse avec Dante, laissant apparaître une fragilité grandissante. Pour lui donner la réplique et incarner ce jeune peintre fougueux, insaisissable, ne vivant que dans l’intensité de l’instant, Romain Arnaud-Kneisky, artiste dans l’âme que nous prenons toujours un plaisir immense à retrouver sur scène, était le comédien idéal. En effet, et comme à son habitude, il se fond littéralement dans ce rôle qu’il habite de toute son énergie et de tout son corps. Cette partition leur va à tous deux à ravir.
Le mystère Ophelia, une fascinante tragédie
Avec Le mystère Ophelia, Céline Devalan ouvre une réflexion intéressante sur plusieurs thématiques qui se mélangent pour peindre ici une même toile. Il y est évidemment question de la passion amoureuse avec son lot d’excès, d’emballements et de destruction, mais aussi du lien que l’artiste noue solidement autour de sa vie avec son art, ou encore du rapport à la maladie. Et notamment à la dépression qui transforme les âmes abimées en funambules de l’existence.

L’évolution de ces deux personnages et de leur relation est d’autant plus fascinante à observer qu’elle est parfaitement amenée, et donc compréhensible et crédible. « Je ne suis qu’un reflet pour vous, rien d’autre » se lamente Lizzie auprès de celui qui l’a aussi follement aimée qu’il s’est lassé d’elle. Une réplique qui traduit avec autant de lucidité que de poésie ce que l’artiste appelle parfois amour. Le travail d’Antoine Le Gallo, à la projection vidéo comme à la musique, est remarquable. En effet, il apporte à l’ensemble, déjà très poétique, une dimension onirique qui nous transporte jusqu’à l’issue aussi tragique que romanesque. Et pourtant, Lizzie Siddal, devenue peintre et poétesse mais restée dans l’ombre de ces peintres assoiffés de son image, a bel et bien connu la même destinée que l’héroïne du tableau auquel elle a servi de modèle. Une histoire, une pièce, et des artistes captivants et fascinants.
Le mystère Ophelia, écriture et mise en scène Céline Devalan, avec la collaboration artistique de Caroline Darnay, avec Romain Arnaud-Kneisky et Céline Devalan, se joue du 5 au 26 juillet 2025 au Théâtre des Corps Saints, au Festival OFF d’Avignon.
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Avis
Cette pièce envoûtante est l'occasion de découvrir une histoire troublante où l'art, l'amour, l'amour de l'art s'entrelacent jusqu'à brouiller les pistes entre le réel et la fiction tandis que des scènes cinématographiées viennent enrichir l’œuvre théâtrale. Un mélange des genres original et réussi.