Nous voilà à nouveau sur les planches en compagnie du Munstrum Théâtre, mais cette fois-ci, Louis Arène a laissé de côté Copi pour s’emparer d’un texte classique : Le Mariage forcé de Molière.
Le 29 janvier 1664, Molière présente pour la première fois au Palais du Louvre sa nouvelle comédie en un acte : Le Mariage forcé. Et voilà que très exactement 360 ans plus tard, cette même pièce se joue au Théâtre du Rond Point dans une mise en scène qui remet au goût du jour une œuvre qui reste, contre toute attente, fondamentalement actuelle. Il faut croire que Molière était en avance sur son temps, à tel point qu’il aborde dans cette farce un sujet au caractère hautement féministe.
En 2012, Louis Arène fonde avec Lionel Lingelser le Munstrum Théâtre. Dans un même temps, il est pensionnaire à la Comédie Française, troupe qu’il quitte en 2016 et qu’il retrouve en 2022 pour imaginer ce spectacle aussi drôle qu’horrifique. Une réinterprétation empreinte du style du Munstrum, de l’humour de Molière et d’un homme qui n’a pas peur d’aller à l’encontre des conventions.
Où est la sortie ?
Le Mariage forcé a de quoi étourdir et oppresser. En remplaçant le décor de la place publique par une scénographie fermée – signée Eric Ruf – faite de lattes de bois blanchies, Louis Arène nous prend au piège. Entre ces trois immenses murs et ce sol en pente, Sganarelle est enfermé et devient la proie de personnages qui feront tout pour le mettre face à ses propres contradictions. D’un homme viril régi par des valeurs patriarcales, il deviendra ce petit bout de chair malmené par sa futur épouse. Lui qui souhaitait se marier afin de “posséder une belle femme”, il ne sera plus que la propriété d’une Dorimène qui se veut libre et émancipée.
Entre mariage et cauchemar, la frontière est parfois poreuse. Les relations amoureuses ne sont pas toujours telles qu’on l’espérait, et quand on cherche à se fiancer pour le profit, on entre sur un terrain accidenté. Sganarelle a voulu devenir l’homme prédateur, mais il ne suffit pas de se croire tout puissant pour assouvir son désir d’être dominant. Deux répliques suffiront d’ailleurs à ébranler ses certitudes et à faire de lui un homme à la masculinité broyée.
Une inversion des rôles
Tout le génie du Mariage forcé se trouve dans cette inversion des rôles. D’une histoire convenue on passe à une critique acerbe de la société patriarcale. Ici, ce n’est plus la femme qui se retrouve sous le joug de son futur mari, mais l’homme qui devient l’instrument d’une quête de liberté. Ce retournement donne lieu à des scènes où le comique de situation côtoie le comique de caractère. L’ensemble des personnages qui gravitent autour de Sganarelle – médecin prétentieux, philosophe impénétrable, bohémiennes queers… – sont des archétypes de leur fonction et le tournent en dérision. Il devient ainsi la victime facile, celle qui n’est pas écoutée et qui se fait entièrement dépouiller : de son argent, ses vêtements, son honneur, sa virilité ; et de sa virginité ?
Louis Arène a poussé cette inversion encore plus loin en faisant jouer les rôles masculins par des femmes, et inversement. Un renversement rendu possible grâce à l’utilisation de masques et prothèses – propres au Munstrum Théâtre – qui brouillent les repères. Les corps sont transformés, les genres floutés. Sganarelle est ainsi interprété par la comédienne Julie Sicard, qui livre en pâture un vieillard libidineux que l’on prend en pitié. Avec son jeu plein d’entrain et d’énergie, elle multiplie les allers retours dans cet espace clos et transforme cet être répugnant en un animal meurtri et misérable. A ses côtés, Christian Hecq s’amuse à gonfler les traits de Dorimène, cette jeune femme victime de son époque qui parvient tout de même à tirer ses épingles du jeu.
A quoi bon la suggestion ?
Molière suggère beaucoup et il paraît tentant d’expliciter ses sous-entendus par une diction et une mise en scène explicites. Si les âmes sensibles peuvent en être outrées, il n’en reste pas moins que Louis Arène est particulièrement doué pour tendre vers la perversion. Entre ses mains, les personnages prennent une toute autre tournure et se dévoilent au grand jour. Les masques tombent (et les vêtements aussi) en laissant apparaître tous les non-dits jusqu’à l’éruption de la scène finale.
En reprenant Le Mariage forcé de Molière, Louis Arène signe une adaptation dérangeante et malaisante. Une déflagration féministe en plein cœur d’une perverti-comédie.
Le Mariage forcé se joue jusqu’au 1er mars au Théâtre du Rond Point.
Avis
Avec Le Mariage forcé, Louis Arène présente une farce empreinte d'horreur. Un spectacle porté par une troupe de la Comédie Française et l'esthétique du Munstrum Théâtre. Molière aura rarement vu une adaptation aussi virulente !