Le Dernier Duel voit le géant Ridley Scott revenir à ses premières amours, presque cinquante années après Les Duellistes, son tout premier long-métrage. Pour une relecture contemporaine aussi intelligente que palpitante.
Le Dernier Duel marque le grand retour de Ridley Scott. La dernière décennie fut pétrie de déceptions venant du réalisateur britannico-américain, de sa relecture houleuse d’Alien avec Prometheus et Alien : Covenant aux échecs consécutifs de Cartel et Exodus : Gods and Kings. Si l’on avait pas laissé le metteur en scène en grande forme avec Tout l’argent du monde et sa production compliquée, l’année 2021 semble définitivement sceller le retour de Ridley Scott en haut du cinéma mondial avec Le Dernier Duel et House of Gucci. Deux portraits de femme et de deux époques, avec un retour aux sources particulièrement salvateur pour Le Dernier Duel.
Retour aux sources
Le Dernier Duel a quelque chose d’une relecture synthétique et contemporaine de la filmographie de Ridley Scott. Embrassant son époque en une poignée de scènes aussi efficaces que parfaitement mises en scène, le réalisateur semble ici relire ses grands faits d’armes, des Duellistes à Gladiator. L’âpreté de l’époque, ainsi que toute l’ignominie de ses tristes personnages se trouve cependant parfaitement alliée à l’intelligence du scénario. Ce dernier, découpé en chapitres par le trio Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener, d’après le roman d’Eric Jager, permet ainsi d’observer les points de vues des trois principaux protagonistes. Parce que Le Dernier Duel n’est pas tant un autre fait d’armes pour Ridley Scott qu’un grand film de l’ère #MeToo traité avec toute l’intelligence et la maestria nécessaires.
De ce duel inspiré de faits réels entre le chevalier Jean de Carrouges et le noble écuyer Jacques le Gris, campé par un Matt Damon tout en bonhommie froide et écrasée, un Adam Driver qui poursuit après Annette de Leos Carax ses interprétations de prédateurs ivres de pouvoir, Ridley Scott en tire le portrait peu reluisant d’une époque qui s’avère bien plus contemporaine qu’elle n’y paraît. Parce que le scénario et la mise en scène fonctionnent ici en symbiose, tout dans Le Dernier Duel évoque les maux de notre époque, en abordant de front le male-gaze et le sort de corps de femmes offertes en pâture à des hommes dont l’ivresse de pouvoir étouffera le moindre désir d’indépendance.
It’s a woman’s world
Et de ce Dernier Duel, pour celui des interprétations de ce casting prestigieux, ce n’est ni Ben Affleck, Matt Damon où le toujours éblouissant Adam Driver qui ne pourront voler la vedette à la fantastique prestation de Jodie Cormer. L’actrice porte ainsi à bout de bras cet affrontement factice qui ne prendra tout son sens que lorsque cette dernière sera au centre de l’attention, lorsque les points de vues de chacun des personnages de ce trio s’affronteront dans un final épique où chaque coup d’épées (où de haches) coupera le souffle. Délaissant les affrontements épiques et mettant au placard la légende de valeureux guerriers, le long-métrage de Ridley Scott choisit ainsi de mettre en lumière toute l’artificialité du pouvoir masculin, au travers de ses histoires de chevaliers aussi ridicules que purement égocentriques.
On ne saisit ainsi la puissance du long-métrage de Ridley Scott qu’au détour du regard féminin, ici porté en vérité, pour nous conter les maux d’un monde où la violence d’un viol prend une résonnance encore plus forte que celle d’un duel d’égo entre deux hommes dévorés par le pouvoir. L’intelligence du scénario allié à la brillante mise en scène de Ridley Scott et les interprétations impériales de ses acteurs font ainsi de ce Dernier Duel le premier grand film post #MeToo, où la puissance du regard féminin peut enfin mener la dragée haute à un pouvoir masculin à bout de souffle.