Le Consentement réussit, malgré quelques lourdes maladresses, à transcender l’exercice de la très risquée adaptation pour se muer en un film aussi déchirant qu’étouffant.
Le Consentement de Vanessa Springora est un livre tellement important que l’annonce d’une adaptation cinématographique semblait presque dangereux. Il demeurait en effet périlleux, outre l’exercice de rendre cinématographique cette histoire intime ayant eu une résonnance aussi forte, de rester aussi fort et sincère que le témoignage de son autrice sans jamais ne trahir aucune virgule, aucun état d’âme de ce roman autobiographique qui depuis sa sortie il y a déjà trois années, n’a jamais paru aussi utile et nécessaire. Écrit et réalisé par Vanessa Filho, à qui l’on devait le poussif Gueule d’ange, le choix paraissait pourtant judicieux : ainsi, malgré des lourdeurs préjudiciables à un premier long-métrage, tout de ce premier essai, de l’enfance sacrifiée au personnage d’une mère absente, s’avérait déjà entrer en concordance avec nombre de sujets évoqués dans le livre de Vanessa Springora.
Même si on lui aurait préféré une cinéaste comme Catherine Corsini, ayant abordé l’inceste avec une grande sensibilité dans Un amour impossible, jamais l’on ne remettra en question le talent de directrice d’acteurs de Vanessa Filho, ayant déjà dirigé une jeune révélation (Ayline Aksoy-Etaix) et une actrice renom en la personne de Marion Cotillard, et qui avec ce Consentement marque une nouvelle progression, notable parmi tant d’autres. Parce que la réalisatrice déploie ici toute sa force d’évocation, de justesse, non sans quelques maladresses et lourdeurs, au cœur d’affrontements magistraux, qu’ils soient menés par l’impressionnante Kim Higelin, d’une bouleversante Laetitia Casta à un décidemment toujours surprenant Jean-Paul Rouve. Ce second long-métrage sera donc bien celui de l’envol pour Vanessa Filho, qui signe, au-delà d’une adaptation fidèle, un film fort sur une société muette et impassible, sur un monstre acclamé, et surtout, une fois de plus, sur une enfance détruite.
Monstre accepté
Le Consentement revient sur la relation entre l’écrivain quinquagénaire Gabriel Matzneff et la jeune Vanessa, alors âgée de quatorze ans. Et ce qui prend aux tripes, en plus de la mise en scène discrète mais forte et intimiste de Vanessa Filho et des interprétations magistrales, c’est le choix scénaristique traitant de cet enfer qu’un système tout entier a pu tolérer. Récemment, jamais un choix d’affiche ne s’est ainsi avéré aussi juste et évocateur de tout un projet, dévoilant les mains d’un homme d’âge mûr dissimulant les yeux d’une adolescente : ces deux pattes symbolisant à merveille celles d’un monstre dont la notabilité et le prestige littéraire ont su duper une victime parmi tant d’autres, jusqu’à influer sur sa réalité, et celle de toute une société, elle aussi rendue totalement aveugle.
Les scènes les plus violentes émotionnellement ne se révèlent pas ainsi être là où on les attend, récupérant dans les irrespirables scènes d’ébats un peu de la lourdeur et de la répétitivité de son précédent projet, mais résident dans la capacité de la metteuse en scène à saisir l’impassibilité, voire l’hilarité de protagonistes à la fois passionnés et fascinés par un tel personnage. Des étagères d’une librairie, où le choix d’un des ouvrages de Gabriel Matzneff se voit suivi d’un compliment, ou bien d’invitations, de dons d’argent et de citations de prestigieuses personnalités politiques semblant valider les agissements d’un homme que l’on appelait encore un auteur. Le Consentement n’est ainsi jamais montré que comme celui d’une seule victime mais de celui de tout un système, approuvant les agissements d’un criminel sans ne jamais le remettre en question, et dont la notabilité d’avère incarner à merveille celui d’un enfermement dont aucune victime ne sortira indemne, à l’instar du spectateur.
Enfer à ciel ouvert
L’enfer, dans Le Consentement, c’est bel et bien les autres, et plus particulièrement leur silence. Illustré par celui d’une mère (interprétée par Laetitia Casta), Vanessa Filho ne fait ainsi jamais l’erreur d’en faire une coupable, mais choisit, en épousant la perception de son personnage principal, de brouiller les pistes, à la fois celles de la normalité et de la réalité, dictées par son bourreau et de toute une société aveugle. L’image, rappelant celle d’une pellicule granuleuse malmenée, d’un vieux film de famille malsain filmé au caméscope, perpétue ainsi ce sentiment d’un malaise constant, glacial et pénible, dont l’issue ne sera jamais réellement trouvée, remettant ainsi très justement en avant une douleur dont on ne vient jamais réellement à bout. Le Consentement, passé l’effroi, semble ainsi parfois insister trop lourdement sur ses idées, étirant sur presque deux heures plusieurs scènes qui n’en méritaient pas tant, là où tout a semble t-il, avoir été dit et abordé.
Le Consentement est ainsi un film aussi nécessaire qu’éprouvant, et Vanessa Filho, si elle n’évite jamais quelques lourdeurs là où l’écriture de Vanessa Springora se faisait plus fine et travaillée, n’en mène pas moins un projet passant sans trahison aucune de la littérature au cinéma. En prenant pour fil conducteur celui d’une irrespirable, monstrueuse acceptation et tolérance généralisée d’un monstrueux criminel sanctifié, Le Consentement parvient ainsi à trouver son identité, et marque d’autant plus en filmant les silences qu’en appuyant sur les images crues injustement étirées et répétées, le rendant ainsi utile mais néanmoins jamais aussi essentiel que le livre dont il est tiré.
Le Consentement est actuellement en salles.
Avis
Malgré quelques lourdeurs inutilement appuyées et étirées, Le Consentement n'en demeure pas moins un film fort, éprouvant mais nécessaire. En abordant l'axe d'une réalité brouillée par un monstre toléré de tous, le film de Vanessa Filho parvient à trouver sa propre identité et à rester fidèle au témoignage de Vanessa Springora, et aurait pu, sans trop en rajouter, devenir aussi essentiel.