Le boxeur invisible décortique avec minutie les injonctions paradoxales qui sévissent à l’intérieur du couple.
Le boxeur invisible nous parle de ces coups portés, non par l’amour lui-même, mais par les règles, obligations et autres conditionnements qui dressent autant d’obstacles sur son chemin.
Quand Clara s’en fiche, Juan pleure. Il est sensible, elle est féroce. Elle lui lance des défis cruels pour qu’il mérite son amour, il les relève parce qu’il l’aime plus que tout. Le lien qui les unit est puissant, sincère. Ils voudraient se faire du bien mais ils se font beaucoup de mal et c’est l’amour qui prend les coups. Une pièce caustique, fable contemporaine, qui aborde la violence sourde au sein du couple.
Le couple, en théorie…
La pièce retrace l’histoire de deux êtres solitaires qui aspirent à être aimés sans y parvenir jusqu’à ce qu’ils se trouvent. Deux enfants entre lesquels un lien fort et unique se créé au fil de leurs rendez-vous au bord de la rivière et de leur rituel de pêche aux grenouilles. Ils s’aiment l’un l’autre tels qu’ils sont, ce n’est pas si courant. Alors ils voudraient que ça dure, que ça ne puisse plus s’échapper.

Puis les enfants grandissent et la cruauté change de forme. Elle devient plus insidieuse, elle prend presque des airs de fatalité. Ainsi viennent le mariage, une vie de couple passée à couper des légumes dans un petit appartement, la familiarité qui autorise paradoxalement à traiter l’autre plus mal que bien… Et c’est ainsi que l’éloignement se créé alors que le but était précisément l’inverse.
« Parfois, t’es dur. Et quand t’es comme ça, j’essaye de me rappeler comment t’es quand t’es tendre, et ça m’aide à tenir. »
Ça devait être plus beau, plus grand, plus fort à deux. Ils étaient différents, ils étaient libres, eux. Mais très vite les dissonances grandissent, la tristesse se faufile. L’incompréhension gangrène un lien qu’ils ne reconnaissent plus, un bonheur qu’elle questionne. Elle rêve, mélancolique, extraite du monde dans lequel lui travaille, beaucoup, tout le temps. Finalement, aimer l’autre tel qu’il est n’est plus si simple. Elle aimerait qu’il exprime davantage ce qu’il ressent, il lui reproche de ne rien faire, de gâcher son talent. Il veut construire, elle veut que vivre soit suffisant.
Un joli duo artistique
Depuis que son talent nous a subjugués dans son seule en scène, Joie, découvert au Festival OFF d’Avignon 2019, c’est toujours un plaisir de retrouver Anna Bouguereau sur scène, aussi captivante à chaque fois. La comédienne a cette présence, cette voix, cette diction, cette plume si singulières qui nous laissent pendus à ses mots. Ainsi, l’année dernière, au Festival OFF encore, nous la retrouvions à l’occasion d’un autre seule en scène, intime et puissant, Tout commence toujours par une histoire d’amour.
Et cela aurait d’ailleurs aussi pu être le titre de cette nouvelle création dans laquelle la jeune femme partage cette fois la scène avec Jean-Baptiste Tur, à qui l’on devait la très jolie mise en scène de Joie. Car c’est d’amour dont il est à nouveau question, si tant est qu’il ne soit pas toujours question d’amour, au fond… L’amour qui fait des miracles, des mirages aussi parfois.
Le boxeur invisible met l’amour à rude épreuve
Entre jeu et narration, Anna Bouguereau et Jean-Baptiste Tur font tomber le quatrième mur pour nous immerger dans l’intimité d’un couple où l’amour se débat. Ils sont devenus ces grenouilles qu’ils emprisonnaient dans un seau quand ils étaient enfants. Le constat est amer, un peu cynique même tandis que les confettis pleuvent sur ce qu’il reste d’eux.

La mise en scène, très symbolique et poétique, fait ainsi patauger ce couple au milieu de ce qui l’a construit et de tout ce qui l’abîme, entre lumière et pénombre, entre passé et présent. On les observe partager des repas, assis chacun à l’extrémité d’une table qui se fait de plus en plus longue, les éloignant de plus en plus. On les écoute aussi raviver tour à tour et avec pudeur les souvenirs de leur mariage, tenant entre leurs mains la longue traîne qui traverse la scène en même temps que leur quotidien.
« Je pensais que tu préfèrerais toujours rester que partir. »
Cette pièce interroge avec simplicité et clairvoyance l’amour que l’on ressent si souvent le besoin d’enfermer au risque de l’asphyxier, ce désir de former un tout, quitte à s’éloigner de soi. L’amour que l’on détruit à petit feu sans même s’en rendre compte tant on le croit indestructible. L’amour que l’on finit par oublier de dire et que l’on voudrait hurler quand il est trop tard… À moins, peut-être, qu’il ne soit encore temps ? Car, bien qu’elle nous échappe un peu, la fin semble résonner comme une prise de conscience et apporte un espoir salvateur.
Le boxeur invisible, d’Anna Bouguereau, mise en scène Jean-Baptiste Tur, avec Anna Bouguereau & Jean-Baptiste Tur, se joue jusqu’au 01er avril 2023 au Théâtre Le Montfort.

Avis
C'est dans une forme très dépouillée que les deux comédiens abordent notre manière d'être en lien avec l'autre. La finesse d'écriture et de jeu se déploie dans une scénographie pleine de symbolisme. Au beau milieu de toute cette noirceur et de cette gravité, la douceur est pourtant là, qui guette.