On ne savait pas vraiment à quoi s’attendre avant d’entrer dans la salle pour découvrir le pari audacieux de Gilles Lellouche (le Grand bain) : une romance impossible sur trois périodes avec des éléments de comédie musicale et de film de gangster. Le tout présenté dans une œuvre de 2h46 avec un casting de stars : Adèle Exarchopoulos, François Civil, Alain Chabat, Vincent Lacoste… Bref, c’est quoi l’Amour ouf ?
Adapté du roman éponyme de Neville Thompson, l’Amour ouf raconte la rencontre entre deux êtres qui n’ont strictement rien en commun, mais qui vont devenir éperdument amoureux. Jackie est une adolescente intelligente et travailleuse qui vit seule avec son père suite au décès de sa mère dans son enfance ; Le garçon Clotaire est tout l’opposé : fils d’un ouvrier portuaire et ayant quitté l’école très jeune, il a très peu d’éducation, mais il est vif d’esprit. Il a surtout un problème avec la violence qu’il utilise pour exprimer ce qu’il ne peut dire par les mots. Un amour fou (le « ouf » faisant référence au langage de Clotaire) va naitre entre eux, sorte d’adaptation libre de Roméo et Juliette version West Side Story.
Jusqu’ici : rien de nouveau sous les tropiques de l’île cinéma. Néanmoins, comme l’a montré Spielberg en s’attaquant au remake de West Side Story, il y a toujours moyen d’actualiser une histoire intemporelle et de construire quelque chose de nouveau dessus. Avec l’Amour ouf, Gilles Lellouche avait donc pour défi de donner une saveur inédite à son récit… Ce qu’il réussit plus ou moins.
Virtuosité stylistique
D’abord, le film brille par sa réalisation inventive. On est emporté, comme avec le courant d’une rivière, dans un déchaînement créatif, visuel et narratif. Plans larges qui se transforment en gros plans, fusillades en hors-champ avec des jeux d’ombre et de lumière, caméra qui passe à travers les vitres, plans séquences complexes et fluides… C’est un déluge généreux et parfois audacieux de mise en scène pure et dure. On sent la volonté de Lellouche de créer – par son récit et par la puissance de la mise en scène – un film avec une ampleur comparable à un Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino ou de l‘Impasse de Brian de Palma.
Cette richesse visuelle, il la maintient tout le long du film. C’est à la fois la force et le défaut de l’œuvre. Trop de générosité, tout le temps et qu’importe la séquence. Cela peut être un simple dialogue ou une scène d’action, la caméra virevolte jusqu’à l’écœurement. Sa mise en scène s’emballe tellement qu’il en oublie de rendre ses personnages plus sensibles et on a envie de lui crier d’arrêter de chercher la sophistication pour la sophistication. Les instants les plus forts sont souvent quand il décide enfin de poser sa caméra afin de laisser son magnifique casting (incroyables Adèle Exarchopoulos et Malik Frikah, le Clotaire adolescent) exprimer les émotions qui habitent les personnages. Hélas, ces moments sont rares.
Mi-gangster, mi-romantique, il faut choisir
Néanmoins, si la mise en scène est perfectible, c’est surtout le scénario qui pêche par son déséquilibre. Pendant près d’une heure, l’histoire passionne, les personnages sont vivants et sensibles. Puis, l’aspect film de gangster rejaillit de plus en plus sur le script, quitte à éloigner la romance du récit. Le problème, c’est qu’il développe cette partie mafieuse – dans laquelle Clotaire rejoint un gang impitoyable – jusqu’à un certain point... Avant de la délaisser complètement en sacrifiant les arcs narratifs de certains personnages secondaires comme celui du parrain local interprété par Benoît Poelvoorde.
Ce qui fait que lorsqu’on revient sur l’histoire d’amour, on a perdu la connexion intense qui existait entre les deux protagonistes. Tout en étant cool avec une dimension tragique, l’aspect mafieux du récit aurait mérité d’être soit pratiquement écarté ou alors de prendre une place d’autant plus prépondérante. L’Amour ouf évolue avec un pied dans chaque monde et ne parvient pas dans son final à reconnecter les deux.
Toutefois, malgré ce manque d’équilibre flagrant, il y a d’excellentes idées qui s’intègrent avec fluidité dans le récit comme par exemple sa dimension musicale. Le long-métrage est rythmé constamment par un usage riche et organique de la musique, ce qui a tendance à rappeler le cinéma de Martin Scorsese. À l’origine, on nous avait même parlé d’un aspect comédie musicale… Ce qui est faux. La formule « dimension musicale » parait plus appropriée dans l’Amour ouf, car il ne reste au final que deux petites séquences avec de la danse (qui sont très belles).
En soi, L’Amour ouf demeure un film hautement sympathique avec des idées de mise en scène sous influences, mais digérées. C’est un récit imposant avec une certaine ampleur, mais qui manque de tragique et d’équilibre narratif. Il y a une fougue incroyable qu’on a envie d’admirer sans jamais vraiment à y parvenir.
L’Amour ouf sortira au cinéma le 16 octobre 2024. Retrouvez toutes nos critiques du Festival de Cannes 2024 ici.
Avis
L'Amour ouf impressionne tout autant qu'il frustre. Pendant plus d'une heure, Gilles Lellouche tient un excellent film entre ses mains avant de le laisser inexorablement se diluer et perdre de sa puissance dans sa seconde moitié. Dommage, même si cela reste très sympathique !