Kneecap, biopic sous amphétamines d’un groupe de rap, est une déflagration viscérale venue d’Irlande, mêlant beats gaéliques et cocktails molotov. Un manifeste punk énervé.
À Belfast, trois outsiders transforment un braquage foireux en acte fondateur d’un groupe de rap-électro gaélique qui va embraser les barricades et la politique britannique. Kneecap est donc un biopic qui s’apparente à un coup de batte dans le système, un uppercut de sales gosses revendicateurs, qui oblige le spectateur à réapprendre le gaélique plutôt que de passer le TOEIC. Dès la première séquence, la caméra traverse un pare-brise fracturé, capte la sueur, le sang. Pourtant, il ne s’agit pas ici (que) de l’IRA, mais du rap irlandais. C’est bon, on plonge !

Réalisé par Rich Peppiatt, ex-journaliste satirique remarqué avec One Rogue Reporter, Kneecap est co-écrit avec les membres du groupe (Móglaí Bap, Mo Chara et DJ Próvaí) qui en sont aussi les protagonistes. Produit par Wild Swim Films et tourné en décors naturels à Belfast et Derry durant l’été 2024, le film bénéficie du soutien du BFI (British Film Institute), organisme public britannique dédié à la promotion du cinéma indépendant. Un choix qui peut faire sourire, tant Kneecap semble s’attaquer frontalement aux institutions anglaises. Caméra à l’épaule, bande-son masterisée par David Holmes, étalonnage sous néons verts comme l’espoir d’une nation : ça va faire mal.
Let’s rap!
Ainsi, Kneecap évite la recette de la simple success‑story pour offrir une narration sur un double focus. D’un côté la naissance perchée du groupe, de l’autre la lutte d’un peuple qui refuse de voir mourir sa langue. Peppiatt noue ces deux arcs autour du gaélique, code secret devenu cri de ralliement. Les scènes de freestyle dans l’arrière‑salle d’un pub répondent aux cours d’école où l’anglais domine, chaque punchline faisant écho à un graffiti anticolonialiste genre Banksy (tu connais). La musique devient résistance, langage de reconquête, car Kneecap ne fait pas que rapper puisque le groupe hurle la colère d’une jeunesse écrasée par l’héritage colonial, marginalisée par le diktat du Royaume-Uni et qui cherche son émancipation dans les drogues de synthèses. Le film prend acte d’un basculement historique où le gaélique, longtemps langue morte ou honteuse, devient finalement arme politique et sonore.

Le récit s’articule aussi autour de la mémoire des luttes, notamment via les souvenirs du père de Mo Chara, ancien membre de l’IRA. Kneecap raconte une guerre de récits, celle d’un peuple dont la langue a été réprimée, et qui choisit aujourd’hui de crier plutôt que de se taire. La construction scénaristique épouse ce chaos : flashbacks entremêlés, fragments d’histoire irlandaise surgissant en pleine session musicale, moments suspendus où la rage laisse place à l’émotion, comme lors d’un hommage discret aux morts oubliés du conflit (ou camouflés par l’Angleterre). Le film devient ainsi un brûlot politique autant qu’un récit d’apprentissage.
Visuellement, Kneecap assume une esthétique de fanzine photocopié trempé dans l’acide. Peppiatt cannibalise les codes du clip, du reportage pirate et du pamphlet anarchiste et fait alterner split-screens à la Danny Boyle, images d’archive VHS, dessins rotoscopiés & overlays crayonnés tout en affichant la signalétique gaélique comme un tag posé à même la pellicule. Les effets kitsch, qui auraient pu paraître gratuits, soulignent ici la charge politique de chaque image. Le jeune cinéaste manie l’excès comme un cri et nous jette au visage des couleurs saturées qui dégoulinent, bien aidées par un grain qui griffe la rétine… Une ode sociétale nécessaire, mais énervée, violente, hallucinée.

De fait, le casting agit comme caisse de résonance à cette urgence. Móglaí Bap, beau parleur enragé, Mo Chara, prophète en baskets, et surtout DJ Próvaí, deviennent plus vrais que nature. C’est par ce dernier que le spectateur rentre dans l’histoire où, d’abord incrédule, il entre dans la transe collective et nous guide. Il hésite, fasciné par la débauche de pilules et par la puissance d’un style qu’il ne maîtrise pas encore, mais c’est son vertige qui finit de nous aspirer dans le tourbillon alors que lui-même enfile la cagoule aux couleurs de l’Irlande en devenant le DJ du groupe pour dissimuler son identité de prof de musique (et de gaëlique cf photo plus haut). Fassbender, magnétique en vétéran de l’IRA, donne au film sa gravité quand Simone Kirby, mère usée, rappelle le prix intime payé par chaque famille irlandaise. Un tableau idyllique mais dissonant qui fait pourtant de l’oeuvre une fresque palpable, à mille lieux de Better Man ou de Bohemian Rhrapsody.
Proposition borderline, Kneecap rappelle qu’exister, c’est résister. Un manifest de la puissance de la langue comme arme de guerilla qui permet de constater que, quelque part entre un beat trap et une sirène de police, la lutte n’est jamais finie.
Kneecap est sorti chez nous le 18 juin 2025.
Avis
Biopic punk halluciné mêlant naissance d’un groupe rap-gaélique et insurrection linguistique, Kneecap est une plongée irlandaise violente, drôle et viscéralement engagée.