Irma Vep voit Olivier Assayas décliner son très confidentiel long-métrage sur le cinéma pour HBO. Une Nuit Américaine prestigieuse, mais qui manque au premier abord cruellement de spontanéité.
Irma Vep est sorti il y a 26 ans. Film au succès confidentiel, écrit dans la spontanéité et tourné avec très peu de moyens, Olivier Assayas y prétextait ainsi un remake des Vampires de Louis Feuillade, feuilleton policier de 1917 porté par la figure culte de Musidora. Il était surtout question pour le metteur en scène d’une déclaration à sa muse d’alors, l’actrice Maggie Cheung, et d’une observation intimiste des arcanes d’un tournage français foutraque et bordélique. Egalement porté par Jean-Pierre Léaud, Irma Vep n’a aujourd’hui pris aucune ride, et se revoit avec beaucoup de plaisir comme une Nuit Américaine contemporaine et plus punk. Quel intérêt alors d’adapter ce projet en série, porté par les moyens d’HBO, et d’un casting très prestigieux ? On tente d’y répondre.
Vampire du spectacle
Irma Vep voit ainsi son côté grunge et indépendant se muer en une production beaucoup plus prestigieuse. Les vieux hôtels et intérieurs d’appartements enfumés cèdent leur place à de luxueux palaces parisiens, et Maggie Cheung, toute en mystère et en charme, se voit ici remplacée par une Alicia Vikander (également productrice exécutive du programme) en actrice légèrement désabusée. Ne reste du film que son fil conducteur, à savoir cette idée de remake des Vampires de Louis Feuillade, et de l’observation d’un tournage porté par un réalisateur excentrique, Vincent Macaigne remplaçant ici intelligemment Jean-Pierre Léaud. Pourtant, si l’acteur, ici accompagné d’une direction artistique soignée, de moyens plus confortables et d’un casting beaucoup plus impressionnant, force est de constater que si Irma Vep en série gagne en prestige, elle y perd d’abord en spontanéité.
On ne remettra ainsi ici jamais en cause le talent de metteur en scène d’Olivier Assayas et son don à livrer des longs-métrages aussi variés qu’intéressants, comme nombre de déclarations à ses muses de cinéma. Kristen Stewart et Juliette Binoche étaient ainsi somptueuses dans le très beau Sils Maria, étudiant ainsi la relation entre une actrice et son assistance, tout comme Personal Shopper s’avérait être une belle continuité des obsessions du cinéaste. Mais toute l’énergie foutraque, rythmée au son de Sonic Youth du film de 1996 se voit ici transfigurée en un certain désenchantement. L’une des scènes phares du long-métrage, où Maggie Cheung entrait dans la peau de son personnage en dérobant un collier dans un hôtel miteux, s’enfuyant sous la pluie, paraît ici glacée, éteinte, et la carte bancaire dorée qui la remplace retire ainsi toute magie à l’ensemble.
Psyrma Vep
Après l’observation désenchantée de cette actrice ainsi que de protagonistes hauts en couleurs (géniaux Vincent Lacoste, Jeanne Balibar et Lars Edinger), Irma Vep s’attaque pourtant de front à un autoportrait très touchant de son auteur. Le temps d’une séance chez le psy, Olivier Assayas se regarde avec mélancolie et sans nombrilisme, parle de films comme de morceaux de lui-même et de son passé, faisant passer la série dans une toute autre galaxie. Des œuvres douloureuses qui écorchent, abîment (superbe conclusion du troisième épisode), Irma Vep s’écarte alors du parisianisme bavard de son récent Doubles Vies pour une thérapie aussi belle que sensible.
Si Jean-Pierre Léaud ne pouvait ainsi figurer que comme un clin d’œil excentrique à La Nuit Américaine dans le long-métrage, Vincent Macaigne s’empare ici avec une infinie justesse de la voix, de son intonation jusqu’à la bonhommie d’Olivier Assayas. Irma Vep vire alors vers l’autoportrait amoureux et sensible, et toutes ces images de tournage et d’archive s’entremêlent alors avec une belle magie.
L’on espère pour la suite que cette belle mélancolie, couplée à une déclaration méta, très personnelle et fétichiste au cinéma, servira de véritable fil conducteur à Irma Vep. Et que la série d’Olivier Assayas délaissera ce désenchantement bourgeois et glacé pour véritablement se dévoiler, qu’il soit Irma Vep, Vampire, où bien Olivier Assayas.
Irma Vep est disponible sur OCS.
Avis
Irma Vep laisse d'abord de marbre, délaissant l'énergie foutraque du film dont il est adapté pour se muer en un portrait glacé, prestigieux mais désabusé d'une jeune actrice. Avant un troisième épisode génial qui revient mettre l'autoportrait au cœur de son récit, et faisant entrer la série d'Olivier Assayas vers des vertiges méta bien plus sensibles et intéressants.