Après l’étonnant Border, le suédois Ali Abbasi livre Les Nuits de Mashhad (ou Holy Spider en VO) en Compétition Officielle du Festival de Cannes. Projet qu’il porte depuis près de 20 ans, ce film revient sur un faits divers sordide : un tueur en série qui assassinait des prostituées dans la ville de Mashhad en Iran. Via cette proposition de genre, Abbasi livre un solide plaidoyer féministe et la dénonciation nécessaire d’un système étatique.
La genèse de Holy Spider (traduit par Les Nuits de Mashhad chez nous) trouve son origine il y a une vingtaine d’années. Ali Abbasi a beau être suédois, ce dernier est né en Iran et a vécu la folie meurtrière d’un certain Saeed Hanaei en 2001. Cet homme a en effet assassiné plus de 13 femmes entre 2000 et 2001 dans la ville de Mashhad : les victimes ayant toutes en commun d’être des prostituées.
Mais outre ce fait divers qui aurait pu ne représenter qu’une histoire de serial killer plutôt classique, c’est surtout la médiatisation qui a suivi et le fait que l’opinion publique commence à considérer Saeed comme un héros qui a profondément affecté le futur réalisateur. Désireux de critiquer un Iran aux dogmes et convictions patriarcales, c’est en 2022 qu’Abbasi présente Les Nuits de Mashhad en Compétition Officielle du Festival de Cannes.
Les Nuits de Mashhad donne le ton dès sa séquence d’introduction nocturne. Nous suivons une mère célibataire qui se prostitue la nuit, et enchaine les clients avant de croiser la route d’un homme en apparence tout à fait banal et délicat. Alors qu’il la ramène chez lui, ce dernier va l’assassiner par strangulation, filmée de manière extrêmement sobre et frontale (mais violente). C’est alors que le film nous présente Rahimi, une journaliste qui va avoir de ce modus operandi et décider coûte que coûte de trouver ce tueur de femmes.
Thriller noir immersif
Si le pitch de base de Holy Spider est complètement attendu via des prémices totalement usitées dans le genre du thriller, Ali Abbasi tort relativement immédiatement les tropes de base. On connaissait le réalisateur pour son Border bien singulier (qui avait revisité le film de « monstre » par un caractère brut et étonnement romantique), et traiter un simple énoncé des faits réels ne l’intéressait pas. Aidé de son chef opérateur Nadim Carlsen, Abbasi filme Mashhad telle une cité se réveillant la nuit, où les péchés, dealeurs et prostituées émergent entre les néons bleus-verts.
Un parti-pris typique du cinéma harboiled, mais qui contribue à caractériser la ville Iranienne par une certaine dichotomie entre le vice et la pauvreté présente, ainsi que le caractère extrêmement saint de ce qui constitue la 2e plus grande agglomération du pays. L’autre point bienvenu : pas de suspense sur l’identité de Saeed (superbement interprété par Mehdi Bajestani), au contraire, c’est l’un des deux protagonistes que l’on suit de manière parallèle à Rahimi, en comprenant même de manière perverse les tenants de cette tuerie.
Un contre-point qui fait tout le sel de Les Nuits de Mashhad, offrant un jeu du chat et de la souris prenant et tenu. De plus, pas de tueur ayant des traumas d’enfance ou autre déviance : Saeed est le everyday man par excellence, bon père de famille et mari aimant. Prenant son rôle avec grand sérieux, ce maçon va rapidement se prendre au jeu et se voir comme un élu chargé d’une mission divine, afin de laver le pays du péché. C’est par ce prisme que Holy Spider devient donc plus intéressant dans sa seconde partie plus politique et contestataire.
Plaidoyer féministe et nihiliste
Les Nuits de Mashhad trouve ainsi tout son cœur et son propos dans une dernière partie authentique où les actes atroces dépeints plus tôt seront vite banalisés par une société condamnant fermement toute appropriation corporelle par la femme. Rahimi verra donc que son principal opposant dans cette affaire ne sera pas Saeed, mais bien un Iran gangrené par la misogynie, au gouvernement manipulateur. Une lutte de pouvoir contre le patriarcat (même au sein des forces de police) et des institutions socio-culturelles ultra traditionalistes s’engage alors, à l’issue relativement éloignée du happy ending classique.
Des interrogations passionnantes donc (comment les femmes ont-elles pu être aussi dépossédées de leur humanité face à la cruauté ? Comment un serial killer peut se retrouver serein face à la justice ?), cristallisées par la performance centrale de Zar Amir Ebrahimi en journaliste déterminée et passionnée. Un rôle qui lui aura d’ailleurs valu le fameux Prix d’interprétation féminine à Cannes.
Au final, s’il n’a pour ainsi dire rien de subtil dans son propos ou de profondément subversif dans son déroulé, Les Nuits de Mashhad représente un plaidoyer sincère et nécessaire, levant le voile sur des problématiques socio-culturelles qui ne peuvent être qu’universelles malgré son cadre iranien singulier pour le genre. Un film choc doublé d’un thriller d’enquête prenant et admirablement interprété de surcroît !
Les Nuits de Mashhad est sorti au cinéma le 13 juillet 2022
avis
Avec Les Nuits de Mashhad, Ali Abbasi accouche de son meilleur film, ainsi que de son plus personnel. Une virée prenante dans les rues de Mashhad qui se mue en plaidoyer féministe à la portée politique certaine et nécessaire.
S'il n'est pas forcément des plus subtils dans ses ficelles, Holy Spider bénéficie néanmoins d'un traitement singulier et authentique. En résulte un thriller noir, porté par deux comédiens absolument excellents. Bref, c'est vraiment bon !