Chaque année, le Festival de Cannes comporte son lot d’OVNIs cinématographiques. En 2022, c’est donc EO (Hi-Han) en Compétition Officielle. Soit l’odyssée d’un âne à travers un drôle de monde qui est le nôtre. Ou du moins un monde vu sous substances hallucinogènes et au shaker.
Jerzy Skoliskowski est un grand nom du cinéma polonais dans les années 60, auquel on doit notamment Deep End. Grand fan du Au hasard Balthazar de Bresson, qui avait globalement le même postulat, le réalisateur revient donc à 84 balais avec EO (Hi-Han). Et durant 1h20, nous allons suivre le voyage forcé de l’âne Hi-Han (promis il y a aucun chien appelé « Woof Woof ») à travers la Pologne contemporaine.
J’ai mal à l’âne
Démarrant dans un cirque, le protagoniste animal (6 ânes « jouent » le rôle de Hi-Han) sera baladé de manière successive entre divers propriétaires, exploitations et autres fermes d’abattage. Un programme qui se révèle immédiatement prometteur et alléchant, en épousant grosso modo le point de vue animal (ou du moins un point de vue adjacent pour favoriser l’empathie). C’est ensuite que ça débloque…
Après une introduction versant dans le gravitas et l’émotionnel, Hi-Han est contraint de quitter le cirque où il est, et partir loin de Cassandra (personnage installant une complicité,qui sera rapidement évacuée en 5 min top chrono). La caméra est au plus proche, fait du gros plan sur les larmes (humaines et animales), verse ensuite dans le métaphorico-onirique (on est parfois proche de Lynch, sans le même talent), sort les violons ou le synthé lancinant, puis de focales…
Un exercice complètement expérimental donc, et dans tout ce fratras il y a quelque chose de fascinant à regarder EO. Cependant le tout vire bien vite à la redondance passée la première demi-heure, en plus de saborder sa profession de foi initiale. Si bien que l’émotion peine à exister dans ce capharnaüm manquant cruellement de liant, de tenue et même de subtilité dans sa volonté de plaidoyer pour la cause animale.
L’âne qui rend chèvre
Car oui, Skolikowski accouche d’un film néanmoins surprenant dans ses choix artistiques : le réalisateur filme donc EO (Hi-Han) sous toutes les coutures, focales, et lentilles imaginables, explosant complètement l’initiale porte d’entrée empathique du spectateur. Il y a cette volonté d’imager le monde des hommes (bons comme mauvais, mais surtout fucked up), sans réelle nuance ou caractère émotionnel là-encore ceci dit. Les digressions s’enchaînent (comme ce passage avec un camionneur), la gratuité s’installe (ces joueurs de foot tabassant Hi-Han ), jusqu’à un final où une Isabelle Huppert accro à l’acide hyaluronique plein le visage fait un caméo franco-italien relativement embarrassant.
Et pourtant, au milieu de ce déluge sans limite, il y a des séquences que l’on retient (en particulier celle où l’âne se retrouve dans un abattoir de belettes et autres ratons-laveurs), et le potentiel d’un court ou moyen-métrage franchement solide. Le discours sur la capacité de l’humain à tout détruire est également pertinent, mais noyé sous le caractère abscons de l’entreprise (la dernière partie n’étant sauvée in extremis que par les toutes dernières minutes).
Bref, beaucoup trop de bout de gras et de LSD ad nauseam, malgré quelques fulgurances (humoristiques ou contestataires), un postulat de base intriguant, de jolis plans et une musique planante de Pawel Mykietyn. On regardera gentiment Okja à la place, et on essayera également de se demander pourquoi dans EO (Hi-Han), l’auteur se consternera d’attacher son animal dans toutes les configurations possibles s’il s’agit d’une critique sortant véritablement du cœur. Ni bon, ni particulièrement mauvais, l’exercice reste cependant vain tout en titillant notre curiosité.
EO (Hi-Han) sortira en salle en 2022
avis
EO (Hi-Han) est un objet expérimental intéressant à plus d'un titre, et très loin de la fadeur. Un postulat de base intéressant cependant parasité par une durée excessive (pourtant 1h20), une redondance d'effets, des digressions narratives nuisant à l'émotion et une multiplicité de points de vue pas toujours cohérente.
Bref, c'est foutraque et ça laisse le spectateur bien à l'extérieur en terme d'empathie, mais il y a quelque chose de de fascinant dans ce film ambivalent, qui aurait pu être un moyen-métrage très solide avec beaucoup plus de tenue et de cohérence.