Dans la jeune génération de nouveaux cinéastes américains en vogue, Ari Aster (Midsommar, Beau is Afraid) tient une place prépondérante et à juste raison. Pour son quatrième long-métrage, Eddington, il atterrit pour la première fois en compétition officielle au Festival de Cannes. Et autant dire que son passage sur la Croisette, avec ce western contemporain aux accents paranoïaques, ne laissera personne indifférent.
Poursuivant sa collaboration, après Beau is Afraid, avec l’un des acteurs les plus iconiques du cinéma contemporain, Joaquin Phoenix, le cinéaste se lance dans un récit hautement satirique qui fait aussi bien appel aux codes du western classique qu’à l’humour noir des frères Coen dans un film comme Fargo, en passant par une dimension sociétale digne d’un Do The Right Thing de Spike Lee. Eddington est une œuvre intense et fourre-tout, mêlant tensions communautaires, climat pandémique et le vertige du complotisme dans une Amérique en perte d’identité commune.

Représentation de l’Amérique contemporaine
En soi, les prémices du récit sont d’une simplicité déconcertante : en mai 2020, dans un patelin paumé de l’État du Nouveau-Mexique nommé Eddington, en pleine crise du Covid, le shérif local Joe Cross (Joaquin Phoenix), agacé par le port du masque, se lance dans la course pour devenir maire. Il s’oppose au maire sortant, Ted Garcia (Pedro Pascal), une décision qui va contribuer à faire basculer la petite communauté dans une spirale de chaos.
Ari Aster utilise ce contexte pour construire une féroce représentation des États-Unis à notre époque. La petite ville d’Eddington, coupée du monde et abreuvée de fake news et de théories du complot, devient une poudrière où les habitants se montent les uns contre les autres. Le film explore une Amérique en crise, tiraillée politiquement, sombrant dans la paranoïa collective et marquée par un racisme systémique. Pour représenter ces éléments, Eddington dévoile une galerie de personnages complexes, chacun avec un arc narratif propre, incarnant différentes facettes de cette Amérique fracturée. Comme par exemple Emma Stone dans le rôle de Louise, l’épouse du shérif, qui dérive vers une pensée sectaire sous l’influence d’un gourou (Austin Butler)

Maestria visuelle et narrative
Plus que tout, Eddington s’avère le parfait exemple d’un cinéaste talentueux en parfaite maîtrise de son art (à seulement 38 ans). Reconnu pour son style viscéral et précis, aux influences qui vont de Polanski à Kubrick, Aster continue d’explorer les traumatismes intimes et les dérèglements collectifs. Sa mise en scène nourrie sait être discrète tout en étant un élément essentiel de la narration. Il a un grand sens du cadre et de la composition filmique, jouant aussi bien avec le mouvement de caméra que dans son absence, organisant une danse visuelle sophistiquée. Il y a une fluidité déconcertante dans sa maîtrise narrative, rappelant par moment l’aisance d’un Steven Spielberg avec sa caméra et l’ingéniosité d’un Martin Scorsese avec le montage.
Ainsi, le cinéaste crée un melting-pot référentiel (néo-western, film noir, film paranoïaque, comédie satirique et politique) tout en gardant la cohérence de son récit. Ari Aster a tout mis dans son scénario, et cela ne paraît jamais pour autant surfait ou superflu. Le film tient toujours debout, il nous étonne, nous interroge et nous emmène vers des axes narratifs non soupçonnés.

De plus, Aster s’appuie sur le talent de son équipe avec entre autres la superbe photographie de Darius Khondji (The Lost City of Z, Uncut Gems) et de son casting avec bien évidemment Joaquin Phoenix dans l’un des meilleurs rôles de sa carrière qui emporte le spectateur dans son point de vue en étant particulièrement attachant malgré ses défauts évidents – un « beau perdant » comme les personnages qui peuplent le film Fargo des frères Coen. Il est drôle, machiavélique, terrifiant, stupide… Bref, humain.
Au final, Eddington nous fait autant rire qu’il nous fait réfléchir en nous montrant l’état parfois catastrophique de la société américaine contemporaine. Il fait appel à des références cinématographiques marquées, mais toujours habilement digérées pour servir un propos singulier. Longtemps après la séance, le film reste dans notre esprit, ce qui est le parfait témoignage d’une œuvre qui fait mouche. Avec ce quatrième long-métrage, Ari Aster confirme ainsi son statut d’auteur incontournable. On ne serait pas étonné qu’Eddington reparte avec un prix au Festival de Cannes 2025.
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Avis
Brillant. C'est le premier mot qui nous vient à l'esprit quand on repense à Eddington d'Ari Aster. Cette fusion satirique des grands genres américains assemblée avec les thématiques qui hantent les États-Unis d'aujourd'hui (covid, conspirationnisme, racisme...) est une leçon de mise en scène avec l'un des meilleurs rôles de Joaquin Phoenix dans un récit terriblement drôle et captivant, malgré un propos sombre assumé.