Après un hiatus au cinéma, Park Chan-wook (Old Boy, Mademoiselle) revient avec Decision to Leave. Présenté au Festival de Cannes en Compétition, le réalisateur coréen accouche d’un thriller romantique à la maestria impressionnante
Park Chan-wook n’est pas n’importe qui : avec ses comparses Bong Joon-ho (Memories of Murder, Parasite) et Kim Jee-woon (A Bittersweet Life, J’ai Rencontré le Diable), il fait partie de cette vague de cinéastes ayant popularisé le cinéma coréen au début des années 2000. Après Joint Security Area, Old Boy ou le plus récent Mademoiselle, le voilà de retour au cinéma (après un petit hiatus télévisuel) avec Decision to Leave.
Hae-jun (Park Hae-il)est un détective chevronné et un mari en apparence épanoui. Sa nouvelle enquête va le mener à rencontrer une charmante veuve d’origine chinoise, nommée Seo-rae (Tang Wei). En effet, son mari est retrouvé mort, au sommet d’un pic rocheux. Alors que Seo-rae et Hae-jun se rapprochent de manière candide, ce dernier va finalement suspecter cette mystérieuse jeune femme. S’ensuit donc une histoire d’amour entre attirance et répulsion, pour un thriller romantique bien singulier.
Fuis-moi, je te suis
On a toujours connu Park Chan-wook comme un adepte des thrillers au cœur noir comme le pétrole. Et si Decision to Leave semble en emprunter la route via son canevas de base, il en est finalement autrement. Au contraire, la romance est au centre, dans un métrage plus léger où le réalisateur (et sa scénariste Jeong Seo-kyeong) n’hésite pas à jouer avec les ruptures de ton, tout en poursuivant des thématiques chères à son œuvre (vengeance, traitrise, obsessions). Ainsi les moments de décalage comiques surviennent à intervalles réguliers, et on avait pas vu le réalisateur s’essayer à un tel exercice depuis Je suis un cyborg.
Des parenthèses de légèreté (déjeuner en tête à tête en plein interrogatoire, scènes de vie conjugale ou intervention décalée du coéquipier de Hae-jun…) ne parasitant cependant jamais l’enquête principale, et qui concourent à bâtir la relation-pivot du film. Car sous son apparente densité narrative, le récit se veut finalement assez limpide, voire même plutôt évident (et ce sera la simple « faille » du métrage). Rapidement, et sans réelle surprise, la nature du personnage féminin sera révélée, et le jeu de séduction va se muer lors de la 2nde partie en désir amoureux contrarié.
Ainsi, Decision to Leave renvoie assez immédiatement au cinéma Hitchcockien (en particulier Vertigo) ou encore à Basic Instinct via ce jeu constant entre l’enquêteur obsessionnel et la mystérieuse femme aux multiples facettes. Cependant, on ne retrouve pas ici ce caractère plus énigmatique ou vénéneux, même en comparaison d’un Mademoiselle qui abordait le romantisme et l’érotisme de manière frontale. Un certain manque de chair, mais une pudeur affichée qui se révèle extrêmement galvanisante et prenante, via une mise en scène complètement virtuose.
Decision to Leave ou l’art de la mise en scène
Decision to Leave est en effet une merveille absolue de réalisation avant d’être un trip labyrinthique. De la première séquence (un tête à tête amorçant la problématique principale à suivre) à la dernière séquence, Park Chan-wook use de tous les outils à disposition (transitions, flash-backs, jeu sur la focale, superposition, panoramiques…) pour conter son histoire en une vraie expérience qui happe le spectateur. Une inventivité débordante en découle autant qu’un millimétrage dans la composition des cadres.
Outre des moments de maestria faisant intervenir le personnage de Hae-jun dans des incursions imagées d’enquêteur, ou bien des scènes d’intérieur jamais filmées de la même manière, on retiendra particulièrement la facture visuelle des séquences en plein air. Si Chung Chung-hoon (Last Night in Soho) n’est plus de la partie en tant que chef opérateur pour Park Chan-wook, Kim Ji-yong (A Bittersweet Life, The Age of Shadows) signe une photographie bien léchée, où la couleur à l’écran (notamment des décors via le jaune, le vert ou le bleu) a presque autant d’importance que dans un Wong Kar-wai (In the Mood for Love).
Enchaînant les moments intimistes avec une facilité déconcertante (magnifique scène nocturne sous la neige), Decision to Leave arbore également une belle ampleur visuelle des plus réjouissantes. Outre les quelques passages en montagne ou ces mouvements de grue lors d’une poursuite sur un toit, on sera soufflé par le climax sidérant de beauté du film. Se déroulant sur une plage très évocatrice du célèbre tableau d’Hokusai, cette conclusion scelle le film à la perfection, tout en proposant les plus beaux plans crépusculaires vus au cinéma (oui on ose !)!
Suis-moi, je te fuis
Mais une autre des grandes réussites de Decision to Leave tient dans son casting : Park Hae-il (un des suspects dans Memories of Murder et faisant partie du cast principal de The Host) campe avec talent et empathie un détective perspicace et méthodique. Autant à l’aise dans les investigations qu’au corps-à-corps, on tient néanmoins un protagoniste humain et faillible, en particulier au contact de Seo-rae. Une attirance aussi déstabilisante que la superbe Tang Wei (Lust, Caution, Hacker), dont la pureté apparente cache une femme plus complexe, sensible et ambivalente. Un très beau personnage donc, pour un duo d’acteurs incandescent à l’alchimie instantanément palpable.
Au final, Park Chan-wook revisite avec brio les codes du film noir, sans pour autant complètement transcender ses promesses d’un récit charnel et vénéneux. Néanmoins, ce thriller policier se révèle surprenant à plus d’un titre, via une dimension romantique à fleur de peau parfaitement véhiculée par son superbe duo de comédiens. Bénéficiant d’un écrin visuel somptueux, d’une musique hypnotique (Park reste en Corée le maître absolu de l’utilisation du son, via son compositeur Jo Yeong-wook), Decision to Leave est un objet cinématographique à l’élégance folle, traitant avec passion ses personnages prisonniers d’un amour destructeur, et ne parvenant pas à vivre leur passion au bon moment.
Decision to Leave sortira au cinéma le 29 juin 2022
avis
Grâce à une mise en scène absolument virtuose, Park Chan-wook renouvelle un genre codifié et un récit connu avec une singularité certaine. Passionnant à mesure que le film avance, Decision to Leave est, outre ses saillies burlesques ou son aura de thriller policier, un vrai film romantique renvoyant autant à Hitchcock que Verhoeven ou De Palma.
Duo d'acteurs parfaits, visuels de toute beauté, musique hypnotique...on aurait voulu un récit plus noir, surprenant et retors, mais on tient là un très bon film orchestré de main de maître, dont la conclusion résonne encore dans nos esprits