Black Phone est le moyen pour Scott Derrickson de renouer avec l’horreur, 10 ans après son remarqué Sinister. Des retrouvailles avec Ethan Hawke, dans un film évoquant à la fois Stephen King et l’exploitation des 80’s pour un résultat en demi-teinte.
Avant Doctor Strange, Scott Derrickson avait construit le début de sa carrière via le cinéma d’épouvante. Tout n’était pas rose, car entre un Hellraiser V direct-to-video à la qualité plus que discutable, un remake ultra fadasse du Jour où la Terre s’arrêta, le couac Délivre-nous du Mal et L’Exorcisme d’Emily Rose oubliable malgré quelques trouvailles, difficile d’y voir la carrière d’un talent du genre.
Mais avant une aventure Marvel relativement correcte, le bougre avait accouché avec Sinister d’un film d’horreur des plus efficaces, où la terreur provenait avant tout de notre propre rapport aux images et à une angoisse anticipatoire. Après avoir laissé la suite des aventures du Sorcier Suprême, Derrickson revient avec Black Phone, produit via Blumhouse (Get Out, American Nightmare, Insidious), pour la promesse d’un retour en bonne et due forme.
Retrouvant Ethan Hawke par la même occasion, ce dernier campe un méchant pour la seconde fois après Moon Knight, tandis que Black Phone nous emmène en 1978 dans une petite bourgade du Colorado traumatisée par des disparitions d’enfants. Il se raconte que « L’Attrapeur » (le fameux kidnappeur) rôderait dans cette banlieue dans sa camionnette noire, et ferait disparaître ses victimes sans laisser de traces. C’est donc ainsi que Finney Shaw (Mason Thames) se retrouve alpagué par cet homme mystérieux, et séquestré dans une cave affublée d’un ancien téléphone noir. L’astuce : Finney va, à sa grande surprise, recevoir des appels de l’au-delà (les anciennes victimes) pour l’aider à s’échapper !
Stephen King-sploitation
Ce qui marque d’entrée avec Black Phone est son postulat de base associé à des tropes et codes du cinéma des 80’s (tendance Amblin et Stephen King). Une démarche qui aurait pu être efficace (à défaut d’être originale) alors que des œuvres comme Stranger Things, Super 8 ou même Ça avaient plus ou moins bien digéré ces époques. Tout comme le roman de King, l’Attrapeur est présenté comme un individu excentrique affublé de ballons (noirs), Finney est le garçon renfermé qui se fait bully à l’école, tandis que son père est un individu violent et accro à la boisson.
De plus, on retrouve des enfants à capacité cognitivo-surnaturelles apparentées au Shining (Finney qui reçoit ses et sa sœur capable de visions pour aider la police), les fameux policiers incompétents, une playlist 80’s et les fameuses daddy issues en lien avec la figure maternelle disparue. Le souci, c’est que tous ces éléments sont balancés en terme de présentation, sans réellement les traiter. Ainsi, le père colérique (joué par un Jeremy Davies qui se démène comme il peut pour faire exister son personnage) n’a aucun réel arc ni utilité dans la scénario, tout comme la petite sœur Gwen, dont les prémices sont finalement bazardées dans un side plot sans impact sur la conclusion.
Bref, tout repose sur Finney et un Ethan Hawke qui il faut l’avouer, arrive à être menaçant. Premier exercice de ce type pour l’acteur, son aspect extravagant (un peu pré-fabriqué au début) contraste bien avec une allure inquiétante, augmentée par le fait qu’on ne voit jamais son visage. Cependant, Derrickson ne fait pas grand chose pour accentuer la terreur ou sa menace. L’Atrappeur a beau rester mystérieux dans ses agissements ou la finalité de ses actes, on ne peut s’empêcher de sourire devant les grossièretés narratives auxquelles Black Phone nous invite ensuite.
Allo les incohérences
Ainsi, on ne compte pas les facilités de script tout au long du film, et qui nuisent sincèrement à l’entreprise générale. On se demande donc comment des policiers semblent incapable de repérer une camionnette noire rôdant littéralement à 500m de la sortie d’école, de pourquoi Finney n’est absolument pas craintif d’un Ethan Hawke en magicien au moment de se faire avoir ou encore de pourquoi l’Atrappeur ne se rend compte d’aucune modification apportée par le héros dans le sous-sol pour tenter de s’échapper.
Le comble restera dans l’utilisation d’un personnage joué par James Ransone, qui est soit l’individu le plus naïf depuis Jawad, ou tout simplement un autre personnage ayant lu le script. Et tout ceci reste bien dommage, car par intervalles réguliers, Scott Derrickson organise quelques moments réussis de tension (cette séquence avec le cadenas) et de sursaut, bien aidé par un très bon sound design. On aurait aimé cependant que l’utilisation du setting soit orchestré de manière plus ludique, en exploitant chaque recoin de manière efficiente. Finney tombe sur de nombreuses impasses frustrantes, mais ceci confère néanmoins un certain parcours initiatique qui fait sens, mais à la résolution là encore relativement facile et bas du front.
On tient donc un jeune protagoniste plutôt intelligent et réfléchi, pour que Scott Derrickson l’amène sur un dispositif résolutif à l’opposé de cela : il y a certes une cohérence avec le fait de ne plus être martyrisé par autrui, mais le tout confère à Black Phone un caractère bien superficiel et bateau. Là encore, le fait d’utiliser chaque ancienne victime de manière centrale sans qu’ils ne soient pleinement caractérisé ou introduits au préalable. Pas de bol quoi !
Black Phone ou les bonnes intentions inachevées
Au final, Black Phone tient beaucoup plus du film d’épouvante facile et grossièrement écrit, plutôt que de la déclaration d’amour terrifiante aux écrits de Stephen King. D’une durée relativement courte, le métrage reste heureusement rythmé, parsemé de quelques séquences efficaces agrémentées d’une fabrication carrée, d’une bande-son plutôt immersive et d’acteurs faisant le job.
Ethan Hawke a beau être flippant (même si là encore les diverses facilités en font parfois un être moins machiavélique et méthodique qu’il n’y parait), Black Phone demeure en globalité bien trop sous-écrit pour accoucher d’un résultat satisfaisant, et trop référencé pour être un film singulier. Reste un visionnage pas déplaisant, à défaut de vraiment proposer quelque chose de signifiant.
Black Phone sortira au cinéma le 22 juin 2022
avis
Malgré des prémices évocatrices, Black Phone est un film d'épouvante très moyen. Malgré un héros attachant et un bad guy efficace campé par Ethan Hawke, les grossièretés d'écriture globales nuisent à l'efficacité globale, bien que Scott Derrickson parvient à emballer quelques moments de suspense bien orchestrés. Plutôt oubliable malheureusement !