Damien Chazelle a seulement 5 longs-métrages à son actif dont le viscéral Whiplash, le romantique La La Land, l’intime First Man… Et maintenant pour compléter ce début de carrière remarquable : Babylon. Le cinéaste nous dévoile un film somme d’une puissance chaotique et créatrice inouïe.
Les années folles tant fantasmées reviennent de la plus belle des manières hantées nos esprits ayant soif de folie et démesure. Hollywood dans les années 1920 était le lieu de tous les possibles, l’incarnation du rêve américain où une inconnue comme Nellie Laroy (Margot Robbie) est dans la mesure de passer de la misère aux lumières étincelantes de la célébrité. C’est l’heure aussi des fêtes somptueuses et… dépravées. Où le sexe se mêle à l’alcool et à la drogue entre deux journées de tournage.
Fascination pour le cinéma
Ce petit monde du cinéma fascine depuis de nombreuses années Damien Chazelle, cinéaste entre autres de La La Land, le film en hommage aux comédies musicales d’Hollywood. On n’est pas étonné de le voir s’attaquer à nouveau au sujet dans une autre grande période de l’histoire de l’industrie cinématographique américaine. À la manière de Chantons sous la pluie, le film mythique de Stanley Donen avec Gene Kelly et auquel il se référence, Chazelle explore la période charnière de la transition entre le cinéma muet et le parlant avec l’arrivée des « talkies » qui vont totalement changer le monde.
Babylon a toute les allures d’un film somme, incarnant les thématiques favorites de son cinéaste et prenant la forme d’une fresque folle d’ambition. On pense à Magnolia de Paul Thomas Anderson pour les destins entrecroisés ; de temps à autre on lorgne vers les frères Coen avec Barton Fink ; la séquence d’ouverture rappelle les grandes introductions de Michael Cimino avec la scène de mariage de Voyage au bout de l’enfer qui s’étire dans la durée comme celle de la fête au début de Babylon ; sans oublier les passages obligés en référence au cinéma hollywoodien muet. On a le sentiment de découvrir le film d’un cinéaste à qui on a donné carte blanche. 3h08 de film ? Pas de souci. Pas d’adaptation d’un livre ? Pas de souci. Une vision d’Hollywood à la fois décadente, cynique, belle et créative produite par Hollywood même ? Pas de souci, on signe !
Cet excès qui électrise le spectateur se révèle le parfait vecteur pour immerger celui-ci dans les années folles. Du contrôle absolu de son long-métrage, Chazelle installe un chaos ambiant aussi bien narratif que visuel. Certains trouveront le film absurde et foutraque, d’autres tels que votre narrateur, y verront une œuvre résolument chaotique pour provoquer une forme d’euphorie. On est enivré par le récit, quitte à frôler le coma éthylique par moment, mais on vit une émotion de cinéma dans sa forme la plus pure : une réaction viscérale à ce que l’on voit et entend.
Mise en scène débridée et inspirée
Babylon s’impose par sa force visuelle de tous les instants. Damien Chazelle livre une démonstration de la puissance de sa réalisation, alliant les séquences intimes au faste esthétique de la vie hollywoodienne. Le cinéaste américain utilise tout son arsenal : les plans séquences sophistiqués et d’autres beaucoup plus sobres – on se souvient de la virtuosité de l’introduction de La La Land – ; les compositions visuelles où les déplacements des acteurs et figurants s’apparentent à une chorégraphie de comédie musicale ; la splendeur de la photographie, à la fois inspirée par l’imagerie hollywoodienne vintage et résolument moderne. Bref, du pur Chazelle !
En plus de tout ce talent déployé dans les cadrages et la photographie, Babylon se révèle comme un film de montage par excellence. Et quel montage ! Se déroulant sur plusieurs années, ce récit aux multiples personnages nécessitait un liant narratif fort. Le plus grand atout de Chazelle par rapport à d’autres cinéastes est son sens musical aigu qu’il incorpore à son montage. La rythmique des somptueuses compositions jazzy et moderne de son fidèle compositeur, Justin Hurwitz, répond au rythme dans l’image et dans les coupes. Ce n’est pas non plus un simple clip musical où il s’agit bêtement de coller la musique au montage, c’est avant tout un travail complexe de précision afin d’obtenir un rendu organique et fluide. Cet art du montage se déploie jusqu’à la dernière séquence somptueuse qui rend un hommage expérimental au cinéma d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Casting parfait
Comment aborder Babylon sans parler de ses acteurs et actrices ? Porté par Margot Robbie, magistrale de sensualité et de vivacité, pour mener cette petite troupe où les grands noms sont aussi bien au premier plan que dans les petits rôles. Brad Pitt incarne Jack Conrad, sorte de copycat de Douglas Fairbanks, qui à l’image de son acteur est une star immense du cinéma. Il y trouve un rôle qui lui correspond à merveille (étonnant, n’est-ce pas ?). On remarque aussi l’étonnante présence, de Tobey Maguire pour interpréter un chef de la mafia peu recommandable (pléonasme quand tu nous tiens) et qui le joue avec un délice non dissimulé.
Au final, Damien Chazelle revient avec une œuvre tout simplement monumentale. Babylon est une lettre d’amour au cinéma et aux petites mains de cette industrie torturée où l’indécence de la vie mondaine se mêle à la folie créatrice. Un film rare à ranger dans la case des grandes fresques hollywoodiennes qu’on pensait à jamais disparues.