Adieu Monsieur Haffmann réunit un formidable trio d’acteurs devant la caméra du talentueux Fred Cavayé pour une étincelle qui n’a, hélas, jamais lieu.
Adieu Monsieur Haffmann est l’adaptation de la pièce couronnée de succès de Jean-François Daguerre, récompensée de quatre Molières en 2018. Portée à l’écran par le très éclectique Fred Cavayé, le réalisateur s’étant fait connaître avec les très réussis Pour Elle (dont Paul Haggis a signé un remake avec Russell Crowe) et À bout portant, ayant délaissé le thriller musclé pour passer, avec plus où moins de réussite vers la comédie. Si l’on oubliera volontiers Radin!, son Dany-Boon movie raté, l’on évoquera ici avec plus de plaisir Le Jeu, qui malgré une fin décevante maniait ses dialogues cruels et ses talentueux interprètes avec beaucoup de talent. C’est donc une nouvelle fois à la tête d’un genre nouveau pour le metteur en scène, à savoir le drame historique, que ce dernier retrouve Gilles Lellouche pour la quatrième fois, ici entouré des géniaux Daniel Auteuil et Sarah Giraudeau.
Téléfilm habité
Adieu Monsieur Haffmann révèle ainsi son efficacité, et ce dès ses premières minutes. Si l’on peut ainsi reprocher beaucoup de choses à Fred Cavayé, dont son manque d’ambition en terme de cinéma, on ne peut ainsi nier le talent du metteur en scène à s’emparer avec respect de sa lourde histoire. Cette dernière, c’est celle de Joseph Haffmann (Daniel Auteuil), joaillier juif condamné à laisser sa famille partir en zone libre et de céder entreprise et logis à son employé et sa femme (Gilles Lellouche et Sarah Giraudeau), et trouvé contraint de se cacher dans le sous-sol. Et si, comme dans le précédent film du cinéaste, la direction d’acteurs s’avère impeccable, ce dernier délaisse cependant toute l’ambiance étouffante nécessaire à la réussite de son long-métrage.
Parce que mis à part les prestations habitées de ses trois impériaux interprètes, Adieu Monsieur Haffmann se contente d’appliquer sans aucune inventivité le schéma d’un ronflant drame historique. Seuls les acteurs semblent étouffer dans ces décors inanimés d’une histoire tournant rapidement à vide, où jusqu’à la conclusion tout laissera malheureusement de marbre. Trois fabuleux acteurs se démènent alors dans un navire fantôme, où la mise en scène n’épouse jamais le trouble et l’asphyxie d’une histoire poignante inspirée de faits réels. Il est ainsi formidable de trouver Gilles Lellouche aligner les prestations habitées, après sa nomination aux César pour BAC Nord et avant sa très risquée interprétation d’Obélix, faire jeu égal avec un Daniel Auteuil toujours aussi bouleversant jusque dans ses silences et une fantastique Sarah Giraudeau, dont on ne finit plus d’attendre chaque apparition.
La place d’un autre
Adieu Monsieur Haffmann arrive en plus à une période où l’un de ses thèmes les plus intéressants, à savoir celui de l’imposture, a offert en ce début d’année de superbes longs-métrages. Si l’on ne comparera ainsi pas Fred Cavayé à Guillermo Del Toro et son somptueux (mais glacé) Nightmare Alley, le Ouistreham d’Emmanuel Carrère et même le plus sage La Place d’une autre d’Aurélia Georges ont ainsi su faire beaucoup mieux de ce fascinant sujet. Parce que sur le thème de l’usurpation, le long-métrage avait beaucoup plus à dire que la chute inévitable (et grossière) de son personnage principal, échouant ainsi à traiter avec minutie de ce foisonnant aspect de son récit.
De ce syndrome de l’imposteur, le scénario de Fred Cavayé et Sarah Kaminsky se contente ainsi d’errer sur des sentiers battus, se prenant de plein fouet son manque d’audace de mise en scène. En résulte ainsi, et malheureusement, un drame efficace mais manquant cruellement de chair, paraissant tel un téléfilm haut de gamme réellement habité par des prestations d’acteurs condamnées à rester au sous-sol.